Ma vie bouleversée après le suicide de mon enfant…

 Nous vous proposons l’histoire émouvante d’une mère dont le fils s’est suicidé à l’âge de l’adolescence. Elle nous livre avec tout son cœur les durs moments de sa vie et sa souffrance face au tragique parcours qui a précédé le suicide et toutes les difficultés contre lesquelles  ont lutté des parents désarmés, impuissants, cherchant désespérément réconfort et sérénité. Des parents qui ne pouvaient admettre un tel destin funeste qui a frappé au cœur d’une famille en apparence heureuse et sans problèmes. La disparition de Sabri n’a pas seulement provoqué souffrance et douleur, mais a été le déclic d’un conflit absurde entre des parents qui se rejetaient mutuellement la responsabilité de cette mort provoquant le disloquement des structures de toute une famille. Voici le cri d’une mère frappée cruellement par le destin et qui essaie de trouver un sens à sa vie dans un monde triste et infâme  après la disparition de son fils. Son histoire…

Sabri avait 17 ans. Il était l’aîné de sa sœur de 2 ans avec laquelle  il s’entendait à merveille. Il avait toutes les qualités d’un enfant intelligent, intéressé, curieux, téméraire, charmant qui savait plaire aux adultes. Il avait une adoration particulière pour son père qui ne ratait jamais une occasion pour l’associer à ses hobbies.  Il l’accompagnait partout affichait toute sa fierté devant ce garçon aux cheveux noirs et au regard charmeur. Il n’avait besoin de rien, nous étions, son père et moi, attentifs à ses désiratas. Il est vrai que, en tant que hauts cadres, nous étions écrasés par une grande responsabilité et, avec un peu de recul, j’avoue que nous n’étions pas très proches de notre enfant. Je  réalise aujourd’hui qu’il ne suffisait pas de l’aimer,  savoir qu’il était  là, connecté à notre vie, qu’il évoluait dans la vie avec ses joies et ses peines… mais nous ne nous sommes pas aperçus qu’il était fragile,  qu’il pourrait avoir des problèmes psychologiques importants. Aujourd’hui je  suis coupable d’avoir cru qu’un enfant ne se suicidait que s’il était  fou. Je n’avais  jamais pensé un jour que mon fils soit capable d’accomplir ce geste fatal. En tant que parents nous avions toujours pensé que notre enfant, comme tous les enfants, agissait comme un irresponsable lorsqu’en classe, par exemple, il ridiculisait sa maîtresse et défiait les lois scolaires. On se disait « c’est grave » mais on mettait généralement tout sur le compte de la vanité de l’enfant et de sa puérilité. Il était l’ainé et il se permettait  certains écarts. Plus tard, Sabri devenait  de plus en plus agité. Ses résultats scolaires baissaient au fur et à mesure qu’il multipliait les incorrections et les bêtises, jusqu’au jour où il fut expulsé de l’école. Ce fut le premier choc pour nous, ses parents qui n’arrivaient pas à comprendre ce qui était arrivé à leur fils. La maison fut transformée en cellule de crise pour pouvoir examiner, comprendre le cas de notre enfant et essayer d’apporter les solutions. Nous avions découvert un enfant de plus en plus  entêté, à la limite de l’arrogance et de l’impolitesse. Nous décidâmes de contacter un psy mais Sabri refusa de le rencontrer. Il nous a fallu user de toute la diplomatie pour arriver à le persuader de l’importance de la rencontre.  Le médecin nous conseilla de nous renforcer comme parents et suggéra à mon mari d’apprendre à lui dire «NON».

La notion qu’un jour notre enfant se suiciderait ne nous a jamais effleuré…. Comment un enfant qui ne manque de rien sur le plan affectif ou familial peut-il se suicider?

Un jour nous rentrions à la maison après avoir récupéré notre fille de son école. La maison était calme. Nous pensâmes que Sabri n’était pas encore rentré. J’avais à ce moment précis un terrible et étrange pressentiment. Ce n’est qu’en ouvrant la porte de sa chambre que j’aperçus le corps de mon fils se balancer le long du placard. Je poussais un cri de bête sauvage et courut m’agripper à ses pieds. Son visage était serein, ses cheveux lui tombaient sur les yeux comme s’il dormait d’un sommeil profond. Je fus prisonnière pendant un moment d’un affreux cauchemar et j’attendais vite mon réveil pour retrouver mon enfant au lit avec sa mine patibulaire qu’il affichait chaque matin avant de se lever. Mais la vérité était là horrible et atroce. Ma vie a basculé ce jour là. Les proches et les amis se dépêchèrent pour compatir à notre douleur. Je n’oublierai jamais les obsèques de mon fils. Tous ses camarades ont tenu à être là pour le conduire à sa dernière demeure. Les gens défilaient devant moi mais j’étais envahie d’une grande tristesse. Un moment je fus saisi par l’envie d’aller me jeter sur le corps froid de mon fils pour lui crier ma détresse. Soutenue par ma famille, je m’agenouillais devant lui en pleurant toutes mes larmes de mon corps, je cherchais dans l’obscurité de mon âme, l’urgente parole mais je ne rencontrai qu’un vide, un désert qui s’ouvrait comme pour aspirer tout mon être.

Les jours passèrent et je n’arriverais pas à retrouver mon équilibre. « Que faire de ma vie ? » Il me semblait que mon existence eût perdu un but obscur que je n’aurai pu préciser mais en qui résidait ma raison d’être. Mon mari prit ses distances et évitait de me rencontrer. Il avait toujours soutenu que nous étions responsables du suicide de notre enfant et que moi, j’aurais pu le sauver avec mon instinct de mère et de femme. Pourtant je fus la première à comprendre que quelque chose n’allait pas et qu’il passait par une période d’adolescence difficile mais pas insurmontable. Quand je remarquais qu’il était très excité, je me rapprochais de lui sans le contrarier en usant uniquement de  gentillesse, de douceur, des compliments, de félicitations, et je passais par-dessus tout ce qui pouvait être contrariant pour lui. Nous étions tout simplement des parents aimants, attentionnés, Les meilleurs parents du monde!

Ma fille ballottée entre la tristesse de ses parents et le sentiment d’affection qu’elle revendique, n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait entre nous. Elle fut confiée à ma mère le temps que les choses se tassent. Mais chaque jour qui passe révélait la profondeur du conflit  qui se creusait entre mon mari et moi. Il n’aimait pas évoquer le suicide et s’était emmuré derrière l’idée qu’on avait toute l’intelligence et la clairvoyance de nous apercevoir du désarroi de notre fils. Il jugeait que nous avions failli à notre devoir de parents ! Il ne cherchait plus ma présence et je me repliais sur moi-même pour oublier mon couple et tenter de faire le deuil de la mort de Sabri. Il me fallait quelqu’un pour me soutenir et insuffler en moi le courage de supporter le poids de cette tragédie.

Comme je ne recevais aucun signe de mon mari, je ramassais d’un coup mes affaires pour aller m’installer auprès de ma mère. Les jours s’égrenaient et je me laissais vivre avec toujours cette image de Sabri qui ne cessait de hanter mes souvenirs et avec laquelle je partais dans un long voyage pour vivre, le temps d’un rêve, des moments sublimes en s’imprégnant de son odeur et de sa chaleur.  Je ne voulais pas oublier la mort de mon fils. Il m’arrivait même de la vivre pour saisir les durs instants pendant lesquels Sabri construisait son projet suicidaire. Je voulais partager ses angoisses, aller au-delà de l’absurde pour expliquer pourquoi il n’avait pas accepté la vie que je lui avais donnée. Que de fois, je refusais de prendre mon somnifère et attendre son apparition dans la nuit sombre de ma chambre pour que je puisse lui dire tout mon amour.

Je ne croyais plus qu’aimer soit synonyme de vivre. Vivre, c’est tellement davantage…plus important…plus difficile.

Un jour parmi les jours ordinaires de mon quotidien, ma mère me livra un document judiciaire venant du tribunal. Je découvris avec surprise que mon mari demandait  le divorce et la garde de notre  fille. Ce qui m’était insupportable, c’est que l’homme avec lequel j’ai partagé ma vie pendant dix neuf ans m’attaquait aujourd’hui en justice sur la base d’irresponsabilité familiale qui a conduit au suicide de son enfant. En lisant le texte de la convocation, certains mots, se dressaient cruellement devant moi, rappelant l’horrible scène du suicide de mon fils. Cela  m’avait ulcérée… Le dégoût puis la haine …. Que dois-je attendre d’un homme qui me considérait  coupable d’avoir tué mon fils ? Comment pourrais-je encore vivre avec quelqu’un qui n’assumait pas ce qui était arrivé? Il devint irrécupérable ! Je répondais par l’affirmative pour le divorce mais j’avais repoussé avec force la garde de ma fille en sa faveur. J’entamais alors, la plus grande bataille judiciaire de mon existence.

L’intention de mon mari fut sans aucun doute de me punir en m’infligeant le châtiment suprême : celui de perdre deux enfants à la fois. Je gagnais mon combat qui était celui de la vérité et de l’honneur d’une mère blessée au tréfonds de son être. J’entreprenais seule l’éducation de ma fille en essayant de lui donner plus d’amour et plus de tendresse. Je vivais désormais avec elle toute sa passion et tous ses rêves. Je comprenais enfin que je n’avais vécu que d’illusions, qu’il devait forcément exister dans la vie autre chose que le malheur, le mensonge et la mauvaise foi. Après quelques visites autorisées par la loi, mon ex-mari rencontra notre fille à plusieurs reprises, jusqu’au jour où j’ai appris qu’il s’était remarié avec une femme qui avait déjà deux enfants. J’en étais quelque part heureuse pour lui. J’avais la certitude qu’il allait vivre sans doute quelque chose d’essentiel.  Entre-temps ma fille grandissait vite  sous mon regard protecteur. Elle était belle, pleine de grâce et de mystère…

Des fois quand le bonheur planait sur nos têtes elle me demandait  presque les larmes aux yeux  de lui parler de son frère Sabri. « Je répondais qu’il était né à une existence inconnue des hommes… alors il a préféré partir, là où il trouvera peut être son bonheur !

S.B.M

 

 

 

 

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