La fille de personne. Partie 1

Née d’un instant de désir, Naziha paye la lourde facture de l’erreur d’une mauvaise mère qui l’a jeté en pâture à une société sans pitié. Que peut faire une fille de quatorze ans lorsqu’elle n’a ni parents ni refuge pour se terrer et survivre à ses misères et ses humiliations ? Le désespoir lui a brisé le cœur, à tel point qu’elle n’en avait plus. Voici son histoire.

Elle cachait soigneusement sa grossesse. Elle n’aimait pas s’afficher dans le quartier pour qu’on ne la remarque pas avec ce ventre qui prenait de l’ampleur jour après jour. Sa sœur avait toujours ce regard paniqué à chaque fois qu’elle la recevait chez elle. Elle garda, elle aussi, le secret de cette grossesse au fond de sa conscience. Elle savait que sa sœur, dont le mari était  à l’étranger depuis deux ans, était enceinte de son amant et qu’elle n’a pu se débarrasser de ce petit être, fruit d’un amour interdit. Les deux sœurs attendaient le « malheureux » événement qui viendrait mettre un peu de sérénité au sein d’une famille qui vivait dans la tourmente. La sœur, vielle fille, détestait les hommes et n’hésitait pas à renier avec véhémence cette société qui a entravé son sexe et provoqué le déni du désir à une femme qui a manqué le cortège masculin. Mais elle promit à la sœur adultérine d’accepter l’enfant et circonscrire une tragédie aux conséquences néfastes, si la nouvelle parvenait à déchirer le voile secret de la confidentialité.

Confiée à sa tante maternelle, Naziha fut élevée dans l’indifférence et l’austérité d’une femme qui n’a jamais connu l’inclinaison maternelle. Elle n’avait jamais réagi au sourire de cette belle jeune fille aux yeux de jade et aux cheveux clairs.  Elle   ne représentait  pour elle qu’une lettre fermée, arrivée à destination, mais que nul finalement n’avait osé ouvrir.  A quatorze ans, Naziha fut expédiée par sa « mère » chez une famille en tant qu’aide ménagère. Durant trois ans, elle trimait dans la cuisine, dans les chambres et les couloirs d’une maison qui ne lui assurait que le gite et la nourriture. Elle se recroquevillait chaque soir dans son petit lit froid pour retrouver un peu de repos en attendant la journée de demain. Un  jour, après trois années de « loyaux services », on l’a congédia manu militari sans aucune explication. Elle reprit  le chemin de la maison « maternelle », avec dans les bras un menu bagage personnel, le seul bien qu’elle possédait. Mais qu’elle ne fut sa surprise  lorsqu’elle réalisa que sa tante avait quitté les lieux depuis longtemps sans laisser la moindre trace.

Naziha partit alors dans une rue sombre qui s’ouvre sur la ville. Elle semblait porter le poids de la tristesse de ses dix huit ans. La nuit offrait déjà son étendue à l’immensité de la ville. Elle regardait avec angoisse cette population qui se pressait pour rentrer. Elle ne put s’empêcher de penser une autre fois à sa « mère » et s’interroger sur sa disparition mystérieuse. Elle remarqua un banc à la lisière d’un grand jardin et l’occupa. Désormais, il sera son seul refuge. Elle y passa une nuit agitée, réveillée à chaque fois par des passagers retardataires ou les vrombissements des camions des services de voierie. Au lever du jour, elle erra longtemps dans les rues en se nourrissant des restes de restaurants de la ville. Dans son errance, elle agrandissait chaque jour son territoire jusqu’à en devenir partie intégrante. Elle était dans son terrain et les gens la côtoyaient avec  le sourire et n’hésitaient pas à lui offrir quelques pièces, pour qu’elle puisse subvenir à ses besoins.

Après deux ans d’errance, voilà qu’un monsieur s’intéressa à elle en lui demandant ce qu’elle faisait dans la rue, depuis si longtemps. Elle raconta toute son histoire sans rien oublier. L’homme sembla apitoyé par le sort de cette jeune fille et lui proposa de tenir compagnie à sa vieille mère qui vivait seule, et l’aider dans ses tâches quotidiennes. Les yeux de Naziha  prirent de la lumière et explosa de joie. Guidée par son Saint Maritain, elle fit son entrée dans la maison. Enfin Dieu a répondu à ses prières. On l’envoya au Hammam et on l’habilla de nouveaux vêtements. Une nouvelle vie commença pour Naziha. Elle mit de l’ordre dans la maison et se comporta comme un membre de la famille. Deux mois passèrent lorsqu’un jour on sonna à la porte. Elle ouvrit. C’était son « sauveur » qui venait rendre visite à sa maman qui, ce jour là, était absente. Naziha était ravissante. Les rayons de soleil pénétraient ses cheveux et éclairaient son beau visage. Sa chemisette déboutonnée laissait apparaitre une poitrine ferme et généreuse. Il ne fallait pas plus pour cet homme qui croula de désir devant la jeune fille. Elle ne put l’empêcher d’abuser d’elle malgré sa résistance. Elle accusa le coup et décida de se taire, mais elle n’arrêtait pas de repenser à cet acte qui allait marquer toute sa vie. Quelques semaines plus tard, en pleine nuit, elle se réveilla prise de nausée et de fièvre. Un médecin fut appelé d’urgence et annonça que la jeune fille était enceinte. Folle de rage, la vieille dame lui demanda des explications. Néziha répondit toute tremblante que c’était son propre fils qui commit l’irréparable. La vieille dame, plus que jamais furieuse, traita la jeune fille de tous les noms en lui disant qu’elle n’avait pas honte d’accuser son fils, son sauveur et un honnête père de famille. Elle renvoya la jeune fille  qui se retrouva de nouveau dans la rue avec un autre pensionnaire : l’enfant qu’elle portait dans ses entrailles. Elle retrouva son banc familier et reprit son errance dans les rues. Elle pleurait son destin et n’arrivait pas à comprendre pourquoi le sort s’acharnait autant contre elle ?  Brusquement, ses pensées s’arrêtèrent. Elle venait de réaliser que son corps avait crée la vie et qu’elle devait mener à terme cette grossesse forcée.

à suivre…

SBM

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