Ahmed-Ridha Abbès « Notre seul sponsor, c’est nous même »

 

Par Kalthoum Jemaïl

Malgré le tumulte des années et les épreuves accumulées tout au long de son parcours, Ahmed-Ridha Abbès  ne change pas de cap. Il reste fidèle à lui-même et absolument fidèle à la musique. Entre elle et lui  c’est plus qu’une relation,  c’est une condition de vie. Il s’y engagea à   l’âge de 14 ans,   dans son  club de musique, au  lycée de Garçon à Monastir.  Dès lors, doué, passant du violon au luth, plusieurs associations le sollicitèrent. 

Au début des années 70, il participa à sa première grande aventure musicale en devenant membre fondateur de « Ferqet Echchabâb de Monastir ». Un ensemble musical connu jusqu’à nos jours. Il se fit connaître avec la diffusion de la musique classique Tunisienne et arabe dans tout le Sahel,  puis, dans tout le Maghreb.  « Ferqet Echchabâb de Monastir » a formé également plusieurs générations de musiciens tunisiens, aujourd’hui  célèbres. Après ses débuts en Tunisie, Ahmed-Ridha Abbès décida en 1977  de continuer son  aventure musicale à l’étranger. Nous l’avons rencontré à Paris. Entretien

Une fois à Paris Ahmed-Ridha, comment vous êtes vous  pris pour continuer de vivre  votre  passion ?

Je m’étais joint à la direction de la Chorale de l’U.G.E.T. C’était une association qui soutenait les mouvements étudiants désirant s’affirmer et  veiller sur  leurs valeurs d’indépendance et de démocratie dans les pays du tiers monde. Après cette première expérience en France, je fis partie d’un ensemble musical tunisien engagé « Ferqet M’hamed Ali El Hammi » constitué de 6 membres  (Mohamed Chafik Gouja, Faouzi Bentara, Mouldi Gaayed, Raouf Anane, Moncef Gouja et moi-même).

Vos spectacles étaient adressés pour qui en France ?

Nos apparitions étaient adressées au milieu ouvrier des travailleurs immigrés.  Notre répertoire était constitué de chansons tunisiennes patriotes, traditionnelles et révolutionnaires. De 1982 à 1987, aux côtés de Nidâa ABOU MRAD,  j’ai participé à la création de la fondation du CEMUDAMM (Centre d’Études des Musiques et des Danses du Maghreb et du Machreq) au sein duquel, j’ai été chargé de l’apprentissage de la musique classique tunisienne. Ainsi avons-nous créé au sein de ce centre un groupe de musique arabe et médiévale. Notre projet fut de retracer le voyage du grand musicien Ziriab à travers la musique. Parallèlement, je dirigeais un autre groupe, l’ « Ensemble El Mâlouf », au sein du CEMUDAMM et donnais des cours de Mâlouf Tunisien au sein de l’association « Maqam », basée à Lille et au sein de l’Association ACAPI, basée à Lyon. Mais, je dus interrompre toutes ces activités musicales  en 2003 pour des raisons personnelles. Une période qui a duré 6 longues années. En 2009, J’ai renoué  avec ce qui m’a toujours le plus animé, c’est à dire la musique.

Quand est née votre association « Mâlouf Tunisien » ?

C’est justement en Septembre 2009. J’avais organisé chez moi notre première réunion. Étaient alors présents mon ami et collègue musicien Faouzi Bentara, Jamila Guizani, présidente alors de l’association « Cercle de Salambo », Jamila Ysati, membre active dans le domaine de la culture et mes deux enfants Sarra et Hédi. Mais cela me prit presque 3 années à former un noyau sérieux musical. Chaque samedi soir, faute de lieu gratuit, j’organisais  chez-moi des séances d’apprentissage et de  répétitions suivi d’un dîner convivial.  En 2012, le groupe se forma en constituant un bon répertoire. C’est alors que j’ai appelé à une Assemblée Générale Constitutive. 25 personnes étaient présentes.  Ainsi naquit l’association « Mâlouf Tunisien« .

Votre premier grand spectacle était par conséquent durant cette période ?

Notre premier grand concert public a été donné le 1 mars 2014 à l’Institut du Monde Arabe avec Nouba Ethîl et autres joyaux de la musique classique tunisienne. Un succès inattendu avec une salle comble pendant  3 jours.

Quels  sont les obstacles majeurs  que vous avez rencontrés ?

 Les obstacles majeurs sont de deux ordres. D’abord comment gérer la donnée humaine.  Au début, on reçoit toutes celles et tous ceux qui ont envie de faire partie d’un ensemble musical. C’est après, qu’on découvre le vrai visage et les vraies intentions des uns et des autres. Il m’est malheureusement arrivé de perdre de bons éléments hélas…

Notre deuxième obstacle qui n’est pas des moindre. Il s’agit du manque de moyens. Nous ne pouvions pas nous offrir un local qui nous permette de nous développer et grandir sans nous retrouver entassés les uns sur les autres. Nous aimerons réaliser nos propres enregistrements  par exemple pour nous auto évaluer.  Bref nous évoluons lentement…

Êtes-vous en train de dire que financièrement vous n’êtes pas aidés ? Vous n’avez-donc pas de sponsors ?

Notre seul Sponsor, c’est nous-mêmes, ce sont nos adhérents, nos membres actifs, les bonnes volontés, des gens qui ont cru et qui croient en notre projet. Je ne veux pas paraître « mauvaise langue », mais, malgré toutes nos démarches auprès de différents organismes officiels (Ministère de la Culture, Ministère des Affaires étrangères, Ministère des Affaires Sociales, Ministère de l’éducation Nationale, de l’Ambassade de Tunisie à Paris, la Délégation Tunisienne auprès de l’UNESCO, du Consulat Général de Tunisie à Paris…), nous n’avons reçu jusqu’à aujourd’hui aucun soutien, aucun encouragement. Nous n’avons jamais eu la moindre réponse à nos courriers pourtant recommandés avec accusé de réception. Nos tentatives de rencontrer le Ministère des la Culture ou le directeur de la Musique auprès du Ministère de la Culture sont restées vaines.  Comme il n’est pas non plus permis de perdre du temps et en attendant des jours meilleurs, nous payons tout de notre poche. Je tiens à remercier les membres choristes et instrumentistes qui sont toujours là pour m’accompagner. D’ailleurs sans eux comment aurais-je pu tenir ?

D’ailleurs, récemment nous avons de nouveau invité. Il s’agit du Maître Zied Gharsa pour le master class, qui a duré aussi plusieurs jours. Cela nous permet de faire valider notre programme musical à la veille de chacun de nos importants concerts pour donner à notre association un caractère sérieux et professionnel auquel j’y tiens.

Vous avez réellement de grands mérites. Vos participants au master class  sont à chaque fois nombreux. Comment cela se passe-t-il avec Zied Gharsa ?

Le premier Master Class  avec Zied Gharsa se passa en 2013. Ce fut un peu difficile.  Nous ne nous  connaissions pas.  Il ne savait évidemment pas à qui il avait à faire. Nous nous préparions alors pour le concert de l’Institut du Monde Arabe.  Cela s’était très bien passé heureusement. A présent nous avons  un vrai  lien d’amitié et de respect entre nous. Notre dernier  master class organisé avec lui en partenariat avec la Maison de Tunisie a été également un  véritable succès.

A chacun de vos concerts vous faites salle comble. Quel est le nombre actuel de vos musiciens et de vos choristes?

 Environ de 200 choristes et instrumentalistes, avec la présence d’instruments traditionnels comme le Rebâb, Oûd Tounsî, Nagharât. Le dernier concert que nous avions organisé à la Cité Internationale des Arts à Paris ce mois de mars 2017, nous 12 instrumentistes et 16 choristes avec 2 solistes sur scène.

Vous devez répéter beaucoup pour atteindre cette unité et surtout  cette qualité de travail ?

 Oui nous répétons ensemble régulièrement et plusieurs heures par semaine.

Quel est pour vous à présent votre plus grand souhait ?

C’est d’abord préserver le sérieux de notre travail afin que mon association « Mâlouf Tunisien » ait les qualités requises de sauvegarder, revaloriser et promouvoir notre héritage artistique propre à notre magnifique patrimoine culturel.

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