Bourguiba d’hier, d’ aujourd’hui et de demain !

17 ans déjà depuis le départ définitif d’un homme qui  a construit l’histoire de la Tunisie moderne.  Par un matin de printemps du 6 avril 2000,  Il est 4 heures du matin  Monastir s’éveille :

 « Les amis, les militants, les anciens ministres, les anciens gouverneurs et hauts responsables se relayaient pour présenter leurs condoléances à Bourguiba Jr et à son fils Moez. Vers 17 heures, arriva un groupe de ministres en exercice, membres du bureau politique du RCD. Ils présentèrent leurs condoléances officielles à Bourguiba Jr, restèrent un moment avant de reprendre la route vers Tunis. Dans le patio, la foule devenait de plus en plus dense. Le défilé autour du cercueil se poursuivait. Dès que les visiteurs s’attardaient un peu, ralentissant l’avancée de la colonne, les organisateurs les pressaient d’avancer. Vers 21 heures, Bourguiba Jr épuisé se retira quelques instants. Lorsque je quittais la maison, vers 22 heures, pour retourner à Tunis, le défilé autour du cercueil se poursuivait toujours au même rythme, alors qu’au dehors, la foule était toujours aussi dense. Le lendemain, vendredi 7 avril, le cercueil fut transporté, en avion à Tunis, pour être exposé à la maison du RCD.

Une atmosphère tendue

Entouré de ses deux fils et de quelques amis, Bourguiba Jr me sembla fatigué et quelque peu irrité. Il cherchait à quitter la salle. Abderrahim Zouari, secrétaire général du RCD qui était à ses côtés, s’évertuait à le retenir. Il l’accompagna sur le perron latéral du bâtiment pour attendre Zine Ben Ali qui devait venir se recueillir devant la dépouille du Leader. L’atmosphère était tendue. Je me hâtais de les quitter avant l’arrivée du Président Ben Ali. Le samedi 8 avril 2000, jour de l’enterrement, correspondait à deux grands moments de l’histoire nationale : le 8 avril 1938, date de la grande manifestation qui fut le prélude de la deuxième épreuve de force et le 8 avril 1956, date de la première réunion de l’Assemblée nationale constituante sous sa présidence. Était-ce là l’effet du hasard ou du destin ? Un troisième barrage se dressait devant la grande porte en fer qui donne accès à la cour du mausolée. Je traversai le portail, l’air décidé, sans même regarder les policiers en civil qui filtraient les arrivants. De leur côté, ils n’osèrent pas m’arrêter, occupés qu’ils étaient à interdire le passage de personnes plus jeunes ou moins connues.

Les femmes prises de malaises et d’évanouissement

Je rejoignis, dans l’enceinte du mausolée, un groupe de connaissances comprenant Béchir Ben Slama, Ahmed Loghmani, Mohamed sayah, Mongi Kooli, … au bout de deux heures d’attente meublées par de la musique, des cris, des invocations, des chants patriotiques, des slogans de toutes sortes en provenance de la foule massée de part et d’autre du chemin qui sépare le Carré des Martyrs du mausolée, une musique militaire remplit l’atmosphère, annonçant l’arrivée du cortège funèbre. Les officiers de l’armée et de la garde nationale ainsi que les policiers en civils s’agitèrent de plus belle pour contenir la foule. C’est alors que l’on vit arriver le cercueil de Bourguiba. « Allahou Akbar » scandait la foule à l’unisson. À la vue du cercueil, certaines personnes furent victimes de malaise ou d’évanouissement.

Elles furent rapidement évacuées dans des ambulances camouflées derrière la foule. Recouvert du drapeau national, le cercueil était placé sur l’affût d’un canon tracté par un véhicule militaire à bord duquel avait pris place une garde d’honneur des trois armes.

Le véhicule était encadré par un détachement d’officiers de l’armée dont deux portaient, sur un coussin rouge, quelques-unes de ses décorations.

Puis venaient les membres du gouvernement et du bureau politique ainsi que les membres du corps diplomatique accrédité à Tunis. Le cortège s’arrêta dans un espace laissé libre à gauche de la porte d’entrée en bois du mausolée. Après une minute de silence, le président Ben Ali entama une oraison funèbre dans laquelle, après avoir rappelé succinctement l’itinéraire du disparu, il n’hésita pas à s’approprier les avancées du modernisme bourguibien, déclarant :

Nous avons entrepris le changement du 7 novembre en puisant ce qu’il y a de meilleur dans le legs que nous a laissé le leader Habib Bourguiba, tout en l’enrichissant et en le fructifiant. Nous avons amorcé une nouvelle étape pour la Tunisie, faite de réformes, de réalisations et de solidarité nationale.

Après ce discours, l’imam de Monastir, le cheikh Nabi, prononça une oraison entrecoupée de versets de Coran. Puis le cercueil, transporté par un détachement d’officiers de l’armée, fut introduit à l’intérieur du mausolée pour l’inhumation.

Seuls, le président Ben Ali et les personnalités qui l’accompagnaient pénétrèrent à sa suite et la porte en bois du mausolée se referma derrière eux.

La télévision française décide d’interrompre ses programmes

À la fin de la cérémonie des obsèques, profitant du départ des officiels et de l’éloignement des agents de sécurité, de nombreux Tunisiens et Tunisiennes accrochèrent aux grilles de l’enceinte ou aux fenêtres du mausolée, de petits bouquets de fleurs ou des branches vertes, cueillies des plantations avoisinantes. Certains pleuraient, d’autres récitaient des prières. Comme cela avait été fait pour les obsèques du roi Hussein de Jordanie et du roi Hassen II du Maroc, la télévision française décida d’interrompre ses programmes pour retransmettre la cérémonie des obsèques de Bourguiba.

Mais le temps imparti à l’émission s’écoulait et la retransmission se faisait attendre. à la place du reportage de la cérémonie en direct attendu, la télévision tunisienne envoya, deux heures durant, des panoramas de coucher de soleil, de paysages, d’animaux divers alternant avec des images pieuses, des évocations religieuses ou la lecture du Coran, … bref des images d’archives qui étaient habituellement diffusées « en boucle » pendant le mois de Ramadan.

Les animateurs de la TV tunisiennes inquiets

L’animateur et ses invités ne cachaient pas leur déception et leur dépit mêlés d’inquiétude et d’une grande gêne. Ils évoquaient, avec raison, la déception de tous les Tunisiens, chez eux ou à l’étranger, et de tous les amis de la Tunisie, qui vivaient en ce moment même la frustration d’être privés des dernières images de celui qui les avait accompagnés durant plus d’un demi-siècle. Quelques minutes avant la fin du temps imparti à l’émission, l’animateur reçut une dépêche d’agence l’informant que la cérémonie était terminée et qu’elle n’avait été diffusée par aucune télévision étrangère. Puis il reçut une communication de l’ambassade de Tunisie à Paris expliquant qu’aucune image des obsèques n’avait été transmise, pour « respecter le recueillement du peuple tunisien ». Ce qui ne manqua pas de susciter l’hilarité de Jean daniel et des mouvements divers sur le plateau de TV5.  Non seulement la transmission en direct de la cérémonie des obsèques avait été interdite mais la radio-télévision tunisienne n’avait pas donné la parole au peuple, ne l’avait pas laissé exprimer ses sentiments, quels qu’ils puissent être, en ce moment important de la vie de la nation.

La plupart des meilleures images furent transmises par les télévisions étrangères, malgré le fait que les photographes et caméramans étrangers aient été parqués près du carré des martyrs, à plus de 500 mètres du mausolée et empêchés de suivre le cortège. l y avait une volonté délibérée d’occulter le passé et de museler les sentiments. Par ailleurs, des  caméras de surveillance avaient été postées partout le long du cortège funèbre, y compris sur les toits.

Le peuple tunisien privé d’un dernier Adieu

Des funérailles nationales et un deuil de sept jours ont bien été décrétés. Mais, comme il avait été privé d’images, le peuple tunisien a également été privé d’adresser un hommage d’adieu à son libérateur et de l’accompagner à sa dernière demeure.

C’est ainsi que des scènes récentes filmées après 1997, montrant le Président affaibli, ne pouvant plus se lever ou s’asseoir sans aide, ont illustré la visite de Bourguiba à Carthage, le 13 mai 1990 et la visite de Zine Ben Ali à Monastir, en 1993. La mystification est clairement prouvée par la présence, sur ces films et sur ces clichés, de Habib Brahem, gouverneur de Monastir depuis 1997 et non celle de Abdelaziz Chaabane qui était gouverneur lors de ces visites, en 1990 et en 1993.
Les femmes révoltées contre la mémoire insultée du sauveur de la nation

La lettre de protestation de la journaliste Noura Borsali, datée du 8 avril 2000, adressée au PDG de la ERTT est édifiante:
« C’est un devoir national que celui de réserver une couverture médiatique à la hauteur, non seulement de cet événement mais aussi de ce grand homme.

En passant des documentaires sur les animaux et des débats sur des « événements culturels » en ces journées de deuil et à la veille des funérailles, notre télévision nationale insulte notre mémoire collective, historique et nationale et bafoue notre citoyenneté dont une des composante est le droit à l’information et à l’expression… Aussi, en tant que citoyenne et femme tunisienne, dois-je élever fort ma protestation contre la banalisation réservée à la mort de Bourguiba et refuse d’adhérer à cette amnésie historique que nous impose notre télévision. Bourguiba – au-delà des critiques qu’on lui a adressé – demeure aujourd’hui pour nous le fondateur de l’état moderne, du régime républicain, le défenseur de la laïcité et le combattant acharné pour les droits des femmes. …

Regardons autour de nous : dans tous les lieux officiels, trônent les portraits de Kamel Attaturk en Turquie, de Mohamed Ali Jenah au Pakistan, de Ghandi en Inde, de Mao Tsé Toung en Chine, de Kim Il Sung en Corée du Nord, de Ho Chi Min qui dirigea les destinée de son pays jusqu’à sa mort et dont la capitale Saïgon a été renommée HoChiMin-ville pour perpétuer sa mémoire.

Ces hommes n’ont pas plus fait pour leur pays, que ce qu’a fait Bourguiba pour la Tunisie. Mais l’Histoire n’a certainement pas dit son dernier mot.

En 1988, l’hebdomadaire « on déboulonne » :

A l’issue d’une réunion tenue vendredi dernier par le bureau du conseil municipal de Kairouan, il a été décidé de changer le toponyme de l’artère principale « Avenue du 7 novembre » au lieu de « Avenue Habib Bourguiba », comme il a été décidé de déboulonner la statue équestre, place de l’Afrique à Tunis, de l’ancien président, déboulonnage qui a été effectué le samedi à l’aube. Cette mesure est appelée certainement à faire boule de neige.
Lorsque je pense à cet homme aujourd’hui disparu, ce sont moins son génie politique, sa vision du futur et son œuvre, ce sont plutôt sa vaste culture, ses qualités humaines, son franc-parler, sa rectitude, son courage et la finesse de son intelligence qui me reviennent à l’esprit. »  Un extrait poignant écrit par Amor Chadli dans son livre « Bourguiba tel que je l’ai connu »

Nous sommes le 7 Avril 2017 et 17 ans après, Monastir s’éveille encore à 4 heure du matin pour fêter l’événement de la commémoration de son fils prodigue Habib Bourguiba.

Une cérémonie officielle sera organisée à cette occasion à son mausolée présidée par le chef de l’Etat Béji Caid Essebsi qui procédera à poser la première pierre de la maison de l’avocat Habib Bourguiba ainsi que la première pierre de la station de transport urbain de Monastir.

Le documentaire raté de l’an 2000 à la télévisons nationale  lors des funérailles du « Zaim » comportera en cette occasion des albums photographiques du Leader Habib Bourguiba, des enregistrements sonores de nombre de ses discours ainsi que des ouvrages et des documents qui retracent le parcours d’un militant suprême. Un homme qui a fait partie du passé mais aussi qui fera partie de l’avenir.
Nadia Ayadi

 

1 commentaire
  1. AMEL dit

    Bonjour
    Il sont tout fait pour masquer cet homme si grand si influant, mais l’histoire ne sera jamais masqué Bourguiba n’est pas une personne c’est tout une idée avant tout c’est un programme fait pour Demain , il est dans nos esprits dans nos âmes , personne ne peut l’oublier . Il faut que la nouvelle génération sait qui est Bourguiba et qu’on ne touche pas à l’histoire et le modifier pour diaboliser ce symbole .ALLAH YARHMOU

Les commentaires sont fermés.