Linda Bouzgarrou : « Dans le «  kitsh », mon modèle était ma propre fille emprisonnée »

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Linda Bouzgarrou

Connaissez-vous le « kitsch » ? Nous venons de l’apprendre encore plus et nous avons découvert l’autre face  cachée de tout un chacun. Un univers « kitsch » aigre qui surgit sur les cases  sombres de l’écriture de soi. Pour en savoir plus, nous avons rencontré une spécialiste qui a travaillé toute une thèse aussi originale que surprenante. Elle s’appelle  Linda Bouzgarrou, Linda Doll pour les intimes. Elle est enseignante d’arts visuels et docteur en sciences et technique des arts.

C’est quoi le « kitsch » dans le domaine des arts ?

Il y a tout d’abord, le Kitsh aigre et le kitsh doux et doucereux. Les deux notions s’opposent. Dans la plupart du temps les objets « kitsch » qui se vendent à grande échelle se basent à leur tour sur le « kitsch » doux. Il s’agit à titre d’exemple du « kitsch » mignon que produisent les asiatiques pour attirer un maximum de consommateurs.

L’adjectif aigre se rapporte généralement à un goût acide s’opposant  à la sensation du goût sucré, le « kitsch » doux. Le « kitsch »  aigre est «  inquiétant et dérangeant dans la mesure où il a trait à la mort ».  Dans cette catégorie du « kitsch »,  on trouvera les crânes mexicains en sucre, les squelettes en plastique, le vampirisme du cinéma d’épouvante…

L’art est donc cette écriture de soi qui oscille entre la vie et la mort ?

Quand la vie croise la mort, il s’agit plutôt d’une renaissance qui jailli de la mort. La mort peut être naissance mais aussi comme renaissance. Elle pourrait être une révélation et une introduction. Il s’agit d’une réversibilité entre la vie et la mort, une représentation de l’une par l’autre et inversement. Cette réversibilité entre la vie et la mort attire énormément et inspire beaucoup d’artistes.

Un exemple ?

La fête des morts est par exemple célébrée dans plusieurs pays asiatiques et européens. Mais le jour des morts au Mexique est singulier. Sa singularité se résume par la célébration de la vie par la mort.   Plusieurs artistes ont procédé par l’écriture de soi en référence  à ce jour en référence au « kitsch » aigre.

Un jour qui n’est pas triste pour certains ?

En fait, le jour des morts n’est pas un jour triste pour les mexicains.  C’est un jour fêté par la musique, la danse et surtout par le déguisement.

De quelle pratique artistique êtes vous partie ?

Dans ma pratique artistique, l’écriture de soi oscille entre la vie et la mort.  Dans la série photographique « Pions  kitschifiés », réalisée en 2016,  le corps de mon modèle, était ma propre fille.  Elle était emprisonnée dans une sphère matrice de mémoires et de souvenirs. Cette sphère qu’est la boule de neige, est en fait mon objet fétiche. J’avais réalisé toute une série de pions « kitschifiés ». Ces derniers dévoilaient deux faces réunissant  les pièces du jeu métamorphosées en pions. Une panoplie de corps transformés en pions de jeu d’échecs enfermés dans leurs sphères matrices.

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Ce corps n’évolue donc pas ?

Il évolue  d’un pion à un autre pour se transformer en différentes pièces de jeu. Les pions blancs représentent la première face de l’échiquier. Ce sont en fait les pièces de jeu qui représentent l’équipe blanche de l’échiquier. Il s’agit de l’équipe adverse  se composant des pions comportant le corps « kitschifié », qui occuperont le deuxième côté de l’échiquier. Ce dernier se fond dans un univers du « kitsch » aigre.

Un double échiquier ?

Il se base plutôt sur une dualité. Les pièces qui représentent la vie et les pièces qui représentent la mort. Pour ce faire les pions « kitschifiés » sont « échiquetés » pour créer les pièces adverses. Il s’agit plus précisément de faire ressortir la mort à partir de la vie.

Les pièces de jeu de l’équipe des pions blancs  seront «  échiquetées »  et assombries afin de faire renaître la deuxième face de l’échiquier. C’est une écriture de soi qui se base sur une confrontation entre la vie et la mort.  C’est en fait, une dualité entre ces deux notions. Pour occuper les cases de l’échiquier, il faut la présence des pions blancs qui prendront leurs places sur les cases noires. Le corps de mon modèle est donc « échiqueté ».

Un jeu de duplicata infini ?

Il s’agit exactement de créer les pions noirs à partir de la duplication des pions blancs. Cela se résume par faire surgir la mort à partir de la vie.  Les pions blancs vont être dupliqués en créant leurs opposés.

A qui est attribué la notion d’opposition qui est fort présente ?

Cette opposition est attribuée proprement dit à l’opposition des pièces de jeu blanches et noires.  Chaque jeu d’échecs comporte dans ses pièces la confrontation entre le blanc et le noir.  Métaphoriquement, il s’agit de la confrontation entre la glace et la cendre. Deux éléments de la nature qui rappelle l’univers de l’échiquier. Ayant la caractéristique des points noirs et blancs opposés comme le Ying et le Yang.  Les deux corps rappellent que l’un existe grâce à l’autre.

Et par rapport à photo quel en est le point commun ?

Par rapport à la photographie le pion blanc a une « ressemblance plus profonde, plus réelle que le réel atteignant le surréel. » En fait, les deux photographies  le pion blanc  et Le pion noir oscillent entre  ressemblance et dissemblance.  Comme l’a écrit Merleau-Ponty dans  Le visible et l’invisible : « Le miroir « exalte tout autant la  forme qui par lui s’offre à l’œil.  Il affirme l’apparence comme visible, mais aussi le visible comme apparence. » Parlant à sa chatte Kitty, Alice décrit la maison de miroir comme elle l’imagine.

Quel serait ce sens du miroir?

D’après Alice, le miroir est un lieu de passage vers un autre monde. Pour elle l’autre côté du miroir ressemble au premier côté sauf que tout est inversé.

Vous avez écris dans votre thèse que le corps-pion « kitschifié » montrait sa face morbide. Expliquez nous…

Le pion noir  renvoie  à la fois vers la vie et vers la mort. En effet, le masque en forme de crâne par exemple est universellement le symbole de la mort et du changement. Le crâne peut être vu comme le symbole du triomphe de la mort sur la vie. Dans certaines croyances,  elle peut renvoyer aussi vers la vie après la mort et vers l’au-delà. Mais ce masque rappellerait aussi la vie par ses motifs quand il s’agit de fleurs et de cœurs par exemple.

Comme dans la culture mexicaine et vous en êtes même un peu influencée ?

En effet, car l’exemple  est très clair. Dans  la culture mexicaine, les motifs des crânes en sucre offrent prospérité aux vivants et aux défunts. Cette culture se confectionne en faveur de la mémoire de la personne morte. Sur le crâne en sucre  on dessine en motif ce qu’on veut offrir au mort. Chaque crâne peut avoir un dessin différent comportant un ou plusieurs  symboles. Les symboles peuvent être un cœur, une fleur, un diamant, une clé ou une serrure.  Dans Le pion noir, le « kitsch » aigre est relié à des croyances populaires exotiques et à une tendance qui se rapporte à la société de masse. Ces  crânes sont devenus ces dernières années un motif tendance très populaire partout dans le monde. La « kitschification » de ces crânes mexicains se sont intensifiés même avec des têtes de mort humoristiques. Une sorte de restitution des morts avec ces calaveras et aussi une sorte d’immortalisation des vivants. En fait, le maquillage qui prend la forme d’un calaveras est devenu très tendance surtout chez les jeunes.

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Cette tendance a une population particulière ?

On peut retrouver les pauvres et les riches sous forme de Calaveras. Il ya un personnage très emblématique qui m’a inspirée dans l’imagination des pièces noires de ce jeu d’échecs.  Il s’agit de « Catrina », un squelette d’une femme  de la haute société très bien habillée. Ce personnage est relié directement au Calaveras et au jour des morts.

La « Catrina » est dessinée par plusieurs artistes mexicains puisqu’elle fait partie de leur culture. Elle est à l’origine un personnage populaire appelé La Calavera Garbancera. Il s’agit d’ un squelette de femme vêtue comme la classe riche et porte dans la plupart du temps un grand chapeau à plumes. Le créateur de ce personnage crée en 1912 n’est autre que le caricaturiste mexicain  José Guadalupe Posada. Il s’est fortement inspiré du culte de la déesse aztèque de la mort. Cette fresque murale est intitulée Rêve d’un dimanche après-midi dans le parc Alamed. Elle est exécutée en 1948 et met en scène un jour de fête dans un parc au Mexique.  Dès lors, l’image des Calaveras est recyclée pour suivre finalement le goût de la culture de masse liée à la société de consommation.

Quel est l’utilité de l’image des calaveras aujourd’hui ?

Sur des objets de consommation, elle devient un motif décoratif qui attire de plus en plus les jeunes.

Le « Kitsh » était jadis plutôt lié à l’inauthentique mais il a bien évolué d’après vous ?

 « Aujourd’hui le kitsch d’un objet est surtout corollaire des goûts de son observateur. Hier, il était intimement lié au mauvais goût. Maintenant, il désigne le goût de la masse, la tendance générale avec une idée de surcharge, de matériaux brillants, de décoration à outrance…Le « kitsch » n’est plus forcément le mauvais goût. Le « kitsch » garde les même principes et typologies mais peut s’attribuer à d’autres critères  pour suivre le goût culturel de  masse.

D’après Christophe Genin « Historiquement le kitsch est un décor qui veut faire bonne impression en mimant celui de la classe supérieure à laquelle il réfère, veut s’identifier et se fondre… ». Le kitsch veut faire genre, comme on dit populairement. »

Voir un squelette qui garde ses traits vestimentaires, n’est ce pas de l’ordre de l’ironie ?.

Une fois mort,  on ne peut plus faire une distinction car tous les squelettes deviennent quasi identiques. Mais pour  la Calavera Catrina ce n’est plus le cas. Elle représente d’une manière spéciale l’emblème de la mort  et aussi de la fête. Elle devient la représentation de la mort dans tous les aspects de la vie.

Une représentation de la vie après la mort ? Une certaine restitution ?

Ce qui est certain  c’est que l’idée de la mort au pays des Calaveras est différente de tous les autres pays européens et musulmans. Lorsque toutes les cultures perçoivent la mort comme tristesse, elle est dans ce cas perçue comme noblesse et se fête par la danse et le déguisement en Calavera Catrina.  Elle ne reflète pas la peur mais plutôt la joie de vivre.

D’après l’encyclopédie sur la mort, « Un mort devient un être surnaturel doté du pouvoir d’intercéder pour les membres de sa famille » On peut donc prétendre qu’un mort dans ce contexte est considéré comme un mort-vivant.

Nous remarquons une présence forte de la « Calavera Catrina » et de la culutre mexicaine dans votre démarche…

La présence de la Calavera Catrina et des crânes  mexicains dans mon travail confronte clairement la dualité. L’écriture de soi dans ma démarche est une oscillation réversible entre la vie et la mort, entre le la face visible et  la face  cachée. Cela reflète la dualité qui existe en moi-même.

 Nadia Ayadi

 

 

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