Afifa Ben Achour : « Le téléspectateur était très exigeant, il fallait être irréprochable »

Elle est née en même temps que la télévision tunisienne qui était alors qu’expérimentale et Afifa Ben Achour a été sa première vraie star. Toujours élégante, bien coiffée, parfaitement maquillée, sérieuse, souriante et raffinée avec cette voix douce et envoûtante qui berce encore toute une génération. Toujours aussi jolie qu’aimable, c’est elle qui présentait les programmes à venir et comblait les coupures à l’antenne. Elle intervenait depuis une petite cabine qui se trouvait tout près de la régie finale au 71, rue de la liberté à Tunis où se fabriquent les toutes premières émissions. De toutes les speakerines, elle est celle qui connaîtra la plus longue carrière à la télévision nationale. Aujourd’hui, Afifa Ben Achour, se fait discrète et aime vivre sa retraite retirée dans le calme de sa verdoyante résidence au cœur des vergers du vieux Mornag. Bien qu’elle soit sollicitée par les médias, elle a toujours voulu garder une certaine distance. Elle a fini par accepter de se confier à nous chez elle autour d’un bon café turc et d’un exquis gâteau au chocolat. Entretien

Vous avez été l’une des plus célèbres speakerines de la télévision nationale. Comment êtes-vous entrée à l’ERTT, l’unique chaîne de l’époque ?

Tout simplement par la grande porte à l’issue d’un concours de recrutement de téléspeakerines en mai 1964. Nous étions deux cent jeunes filles à y participer. Huit ont été retenues et quatre ont été prises en définitif.

Qui étaient-elles ?

Il s’agissait de Nabiha Ben Smida et Latifa Boussooud en langue arabe et feue Neziha Magrebi et moi-même en langue française. Une année après Latifa Boussooud était partie pour des raisons familiales et a été remplacée par la défunte Wahida Belhaj.

D’après vous, c’était la belle époque de la télévision tunisienne ?

Nous avons eu la chance et le privilège d’exercer pendant les années fastes de la télévision tunisienne. Elle représentait en ce temps là, un véritable défi à relever aussi bien pour les téléspectateurs tunisiens que pour les différents corps de métiers qui y travaillaient.

Vous êtes issue d’une grande famille plus ou moins conservatrice de Djerba. Vos parents n’ont-ils pas été réticents pour une carrière à la télévision ?

En ce qui me concerne mes parents paix à leur âme, plus particulièrement mon père très affectueux et protecteur, étaient très ouverts d’esprit. Ils m’ont beaucoup encouragé à suivre cette carrière dans le petit- écran.

Et votre époux était-il aussi tolérant ?

Mon mari a beaucoup contribué au succès de ma vie professionnelle. Il m’a beaucoup aidé à concilier entre ma vie de famille et mon travail.

C’est comme si ce métier était fait pour vous…

Durant mon stage effectué à la RTT et qui avait précédé mon premier passage devant la caméra, j’ai découvert les différents métiers de la télévision tels la réalisation, le montage, le décor, la diction… C’est ainsi que j’ai vite adopté ce métier et ses exigences multiples. Il fallait beaucoup de sérieux, une élocution parfaite, un style personnel et la capacité d’improvisation. On s’introduit chez les gens sans se faire inviter, autant éviter de les agresser avec des manières indélicates.

Comment s’effectuait la programmation télévisée ?

Au début de ma carrière, j’ai travaillé au sein de la programmation en langue française. A part le journal télévisé, tous les programmes étaient importés mais très sélectifs notamment les feuilletons, les films, les pièces de théâtre, les documentaires et j’en passe.
Même au sein de la programmation en langue arabe on avait recours à des programmes étrangers, compte tenu des moyens très limités dont la télévision disposait. Les programmes tunisiens étaient diffusés en direct.
Le téléspectateur de l’époque était très exigeant, ce qui nous imposait d’être irréprochables et ne produire que des émissions de qualité. Je cite à titre d’exemple « El Mindhar » qui à l’époque avec un matériel léger, de l’intelligence et de la curiosité traitait du quotidien du tunisien. Cette émission avait eu un énorme succès auprès du téléspectateur et avait bel bien retenu son attention.
La culture était diffusée à travers les pièces de théâtre telles que « Hadj Klouf », « Si Marzouk » (adaptation de Tartuffes)… La télé nationale a su avec peu de moyens satisfaire les aspirations et les attentes des téléspectateurs.

Vous vous souvenez de votre premier salaire ?

A mes débuts j’avais un salaire de base de 45 dinars par mois qui me satisfaisait. Mon seul et unique soucis était de réussir ma carrière professionnelle et c’est ce qui m’a valu la sympathie et le respect des tunisiens.

Étiez-vous consciente que vous étiez une star ? Comment avez-vous vécu le regard des tunisiens dans la rue ?

La notion de vedettariat, n’était pas perçue à cette époque en Tunisie de la même façon que dans les pays occidentaux. Grace à mon métier, les gens me reconnaissaient, ce qui facilitait beaucoup les contacts. On m’appréciait et j’en étais très ravie.

Quel est votre meilleur et pire souvenir de votre carrière télévisuelle ?

Je n’ai que de bons souvenirs de la télévision tunisienne. L’un des meilleurs, fut le jour de l’inauguration de la télévision en mai 1966 par le président Habib Bourguiba paix à son âme. J’ai été désignée à l’occasion, pour lui souhaiter la bienvenue en lui présentant un bouquet de fleurs. J’ai été impressionnée, fascinée par son vif regard azur et sa grande délicatesse.

Existait-il de la concurrence entre les speakerines?

Le travail que j’ai effectué était un travail d’équipe. J’en profite au passage pour rendre hommage à tous ceux et celles avec qui j’ai eu l’occasion de côtoyer durant mon périple à la télévision tunisienne. En tant que pionnière du petit écran, je ne me suis jamais sentie reléguée suite à l’arrivée de nouvelles téléspeakerines dont le recrutement s’était fait à la suite de l’accroissement du nombre d’heures de diffusion. Cela n’avait pas débouché sur une quelconque rivalité. Bien au contraire avec l’arrivée de Fekria Daly Gharbi et Saloua Ayachi paix à son âme, la famille n’a fait que s’agrandir et l’entente était toujours de mise. Jusqu’à nos jours nous gardons d’excellentes relations et on se voit périodiquement.

Avez-vous réalisé autre chose à la télévision à part le téléspeaking ?

Mon parcours à la télévision ne s’est pas limité au téléspeaking et à l’animation que j’ai fait avec feu Khaled Tlatli mais j’ai également produit plusieurs émissions dont principalement sur le cinéma intitulée « Grand Ecran », ce qui m’a permis d’assurer par la suite, l’animation de la cérémonie d’ouverture des JCC à plusieurs reprises. J’ai côtoyé les plus grands cinéastes tunisiens et africains. J’ai également assuré la couverture de plusieurs manifestations culturelles et aussi produit une émission de variétés « Chansons sur la sellette ». faisais découvrir les talents artistiques des immortels de la chanson arabe et occidentale tels que Oum Kalthoum , Abdelhalim , Dalida , Ouleya…

Quel est l’autre métier que vous auriez aimé faire ?

Si je n’avais pas fais ce métier, j’aurai aimé travailler dans l’informatique. Lors d’un voyage à l’étranger en 1984, j’ai été subjuguée par cette machine extraordinaire qu’est l’ordinateur. A mon retour j’ai suivi une formation en informatique au sein du CBMI (Centre Bourguiba de Micro-informatique) qui venait d’ouvrir ses portes. Par la suite, j’ai même produit une émission diffusée en langue française intitulée « l’informatique à la portée de tous ». Cette émission m’avait d’ailleurs valu l’appui et l’encouragement des professionnels du domaine et d’éminentes personnalités, je citerai les regrettés Mokhtar Laatiri, Habib Bourguiba Jr paix à leur âme et messieurs Mohamed Ben Ahmed et Farouk Kamoun.

J’ai assuré par la suite plusieurs événements liés à l’informatique. Le projet le plus important pour moi fut incontestablement un documentaire intitulé « Le Défi » qui dévoilait où en était la Tunisie dans le domaine de l’informatique. Ce documentaire a été diffusé en juin 1986 au stand tunisien à la foire de Tsukuba au Japon.
Suite à cet événement, j’ai été décorée pour la deuxième fois par le président Bourguiba.

Qu’avez-vous fait quand le métier de téléspeakerine avait été supprimé ?

En 1997, quand le métier de téléspeakerine à été supprimée à la télévision tunisienne, j’avais alors intégré la radio « RTCI » jusqu’en 2005. Une expérience aussi enrichissante dans un cadre aussi chaleureux. Je salue à l’occasion tous ceux et celles qui ont fait partie de cette formidable famille.

Avez-vous des regrets ?

Je regrette beaucoup l’époque révolue de la télévision marquée par une ambiance très amicale. Tout ce beau monde (cameramen, script-girl, techniciens, monteurs, réalisateurs, régisseurs, producteurs, coiffeuses, chauffeurs sans oublier les responsables …) se donnait entièrement sans compter tout en respectant nos valeurs culturelles.

Pour conclure, quel serait votre message vos vœux ?

Je crois que j’ai eu la chance de réussir aussi bien ma vie professionnelle que ma vie familiale entourée de mon mari, de mes filles, mes gendres, mes petits enfants (Syrine, Sarra, Chiraz, Selima et Aziz « rabbi yahfadhhom »). Je saisis cette occasion pour souhaiter une excellente année 2019 pour tous les tunisiens d’ici et d’ailleurs. Tous mes vœux de bonheur et de bonne santé à ma famille, mes amis et à tous ceux et celles qui me connaissent.

Entretien conduit par Nadia Ayadi

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