De Carthage à Rome, Mariane Catzaras ou la mémoire de la pierre

En ces temps où les confusions identitaires ont pignon sur rue, en ces temps où certains politiques utilisent le populisme pour asseoir leur popularité, l’art doit remettre les pendules à l’heure. Redistribuer les cartes du dialogue et de la compréhension.C’est en septembre que la gigantesque exposition « Carthagem, mythe éternel » a jeté l’ancre au Colisée de Rome. Plus de 400 pièces carthaginoises venues de Tunisie, d’Italie, d’Espagne, du Liban ont été inaugurées par le ministre de la culture.

Une initiative assez exceptionnelle a fait de cet événement un rendez -vous incontournable pour les curieux, les passionnés d’histoire mais aussi pour les milliers de personnes qui se rendent au Colisée tous les jours.
A côté de ces bijoux archéologiques, de ces pièces uniques qui reconstruisent les liens entre Rome et Carthage, la photographie est désormais la bienvenue. C’est au forum impérial dans une petite alcôve de ce parc archéologique que Marianne Catzaras a jeté l’ancre avec ses photographies. L’artiste raconte la ville antique, contourne la ville mythique en s’y plongeant comme une véritable archéologue des mers.

Elle visite, revisite les pierres, les colonnes, les flaques d’eaux où se reflète un arc ou un fronton. Une écriture de la mémoire des hommes se dessinent, leur donnant une identité commune. Une voix intérieure silencieuse et si audible à la fois s’inscrit sur les pierres. L’ambassadeur de Tunisie à Rome Moez Sinaoui n’en est pas à son premier événement culturel. Il est proche des artistes et veut faire de cette année romaine un moment de rencontres entre chercheurs, musiciens, historiens et artistes.

La parole savante, la musique, la danse, l’image s’invitent main dans la main. « l ‘art et la culture en général sont les fondements d’une relation fructueuse, de dialogue, de proximité et de compréhension entre les peuples. Cette exposition archéologique est un appel et un message aux Italiens, mais aussi aux millions de visiteurs du Colisée de Rome faisant de Carthage un idéal méditerranéen. »

Une ville idéale ? Un pays sans frontière, une mer sans naufrage, un voyage vers des horizons meilleurs… C’est sans doute ce que laisse voir les photographies de Marianne Catzaras : le golfe de Carthage et sa cartographie imprécise, indéchiffrable mais reste en même temps un beau flou artistique. On est ici à Carthage mais on est aussi ailleurs. Deplhes, Syracuse …

Marianne Catzaras transforme les lieux les plus marqués en géographie atemporelle. L’essentiel se situe dans la mémoire des hommes. Il faut y aller, écouter et récolter. C’est l’enfant pétrifié qu’il ne faut plus tuer. Les racines des arbres deviennent le parterre sacré des monuments. On se promène dans le Carthage punique, romain mais c’est surtout le détail que capte l’artiste qui interpelle dans la métaphysique de la pierre. Que fait ce visage de femme emmuré ? que vient faire cette vitre cassée au milieu des ruines et de la poussière ? Qui sait peut-être que l’art pourra réunir les hommes ? Osons espérer…

Redonner cette valeur profonde à la culture méditerranéenne, le désir de croire en la diversité et au partage et c’est bien l’hybridité de l’artiste qui nous communiquera ce message d’humanité et d’humanisme, confie la directrice du parc archéologique du Colisée Alfonsina Russso. C’est elle et son équipe qui ne cessent de faire du Colisée de Rome un des endroits les plus visités au monde. Elle a accueilli Carthage avec l’hospitalité des savants et des philosophes. Elle a permis ainsi aux mémoires des hommes de se rencontrer.

Les photographies de Marianne Catzaras où le noir et blanc répondent présent au monde. Une manière sans doute d alerter, de faire prendre conscience de la fragilité et du non oubli des naufragés en Méditerranée. Le noir et blanc poussés dans leurs contrastes à l’extrême nous posent aussi au cœur de l’aventure humaine.
Une exposition à voir et à revoir à Rome. La mémoire des pierres au Colisée de Rome jusqu’au 30 mars 2020. Un livre paraîtra par ailleurs en marge de l’exposition.

N.A

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