Lettre à Joumana Haddad : Faut-il vraiment tuer Chahrazed?

Ma Chère Joumana Haddad, Je me permets de te tutoyer car nous nous sommes rencontrées il y’a huit ans déjà à Gaète en Italie lors de la présentation de ton fameux livre « J’ai tué Shahrazed ». Depuis, je te considère comme une amie. Nous n’avions échangé alors que quelques mots et comme dédicace sur ton livre, Tu m’avais écris en langue Arabe « oqtouliha ma3i ya Rym ! » qui résonne encore dans ma tête après tant d’années !

Tuer Shahrazed pour une femme arabo-musulmane n’est pas une mince affaire. Quoi que l’on fasse où que l’on dise, cette étiquette nous collera à la peau tel un tatouage sous-cutané. On a beau exceller dans divers domaines, on a beau exercer les plus beaux métiers du monde allant de l’actrice à l’enseignante, de la philosophe à la Magistrate, du médecin au pilote de ligne, de la sportive de haut niveau à l’agricultrice, de la mère au foyer (car c’est aussi un très beau métier) à Ministre…

je suis tout a fait d’accord avec toi lorsque tu considère que la femme tunisienne demeure la fierté des femmes arabes tout azimuts. Bien des avancées ont été réalisées grâce à elles. Mais, crois-moi, ma chère Joumana, le combat ne fait que commencer. Les objectifs restent encore bien loin. Quel vibrant hommage tu nous as fait lors de ton dernier passage sur une chaîne française. Tu avais souligné notamment les acquis de la Tunisie en matière de droits et de libertés individuelles.

Je voudrais avant tout t’en remercier en mon nom et au nom de toutes les femmes de mon pays. Cependant, je voudrais que tu saches que beaucoup de chemin reste à faire ne serait-ce que pour préserver les acquis pour les unes, pour améliorer les conditions de vie et de travail pour les autres notamment les femmes rurales, la fierté de la Tunisie! Malheureusement, ma chère Joumana, c’est d’une Tunisie fracturée qu’il s’agit, où une minorité est privilégiée et où la grande majorité souffre d’inégalités atroces et ne cesse de s’enfoncer.

Le jour où toutes les femmes de ce pays pourront bénéficier des mêmes droits, le jour où on arrêtera d’utiliser le principe des deux poids deux mesures, alors oui, on pourra s’en féliciter ! Oui en chacune de nous sommeille une Shahrazed qu’il faudrait tuer.. mais c’est toujours d’un Chahrayar que dépend notre destinée… Alors ma chère Joumana je proposerai, si tu le permets, que c’est d’abord par lui que nous devrions commencer !

Rym Ben Sedrine

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