Olfa Hamdi « La Tunisie souffre d’une crise de leadership »

Elle est née à Médenine, originaire de Gafsa. Diplômée en génie de la construction et gestion de projets de l’Université du Texas, elle a été sélectionnée par l’École Centrale de Lille, pour partir en double diplôme aux Etats Unis où elle réussit brillamment ses recherches à l’Université du Texas. Elle, c’est Olfa Hamdi brillante jeune femme au parcours atypique qui fait partie aujourdh’ui d’un prestigieux « think tank » spécialisé en productivité et prédictibilité des grands projets industriels. Dans une interview à Femmes et Réalité, elle se confie tout en mettant en évidence le grand rôle des compétences tunisiennes hors frontières. Entretien.

Cela vous fait quoi d’être considérée comme une une véritable ambassadrice de la jeunesse et de la culture tunisiennes aux Etats-Unis?

Ambassadrice, est une très grande responsabilité tout de même. Je suis tout simplement tunisienne. Et avant que toutes ces écoles et ces institutions internationales aient cru en moi et en ma compétence, il y a la société tunisienne et l’Etat tunisien qui avaient cru en moi.
Avec 19.51 au baccalauréat, j’ai eu une bourse d’Etat pour poursuivre mes études aux Ecoles Préparatoires en France, puis des études de Droit aux Etats Unis à l’Université de Texas de Droit dans une spécialité très spécifique qui est l’arbitrage international des conflits d’investisseurs entre secteurs publics et privés. Notamment j’ai d’autres éléments dont je suis fière : j’étais la plus jeune tunisienne qui enseignait à l’Institut de Défense National (IDN) et à l’Ecole des Etats Majors Tunisiens.

Qu’entend-on par Grands projets ?

Un grand projet c’est un projet à but commercial, environnemental et d’efficacité (construire raffinerie ou un complexe pétrochimique, ou une infrastructure routière significative par exemple) qui dure plusieurs années, et qui a un cout qui dépasse les cinq cents million de dollars. Certains projets de reforme organisationnelles ou de transformation digitale peuvent aussi être considérés comme des grand dans le sens ou leur envergure et complexité et le nombre de personnes et processus qu’ils affectent sont élevés. La Management de ces projets en lui-même est une science qui émane de l’expérience et il y a des principes a respecter et a suivre pour les faire réussir. On dit grands projets parce qu’il ya une différence par rapport aux petits projets qui ne fonctionnent pas de la même manière. ll y a les grands projets dont le budget dépasse celui de l’Etat Tunisien : j’ai travaillé sur le projet Gorgon LNG de gaz naturel liquéfié en Australie dont le budget dépasse celui de la Tunisie, mais le point commun entre eux c’est que les grands projets, comme les gouvernements, ont toujours une influence sur l’aspect géopolitique.

Qu’est ce qui fait qu’un projet d’Etat réussisse?

Je compare en fait l’Etat à un projet. L’Etat est une continuité de petits projets qui, ensemble, doivent réaliser un projet de société adéquat avec les identités économiques de cette société. Le plus important dans tout ça quand je vais faire la relance des grands projets, le critère important est le chef du projet, est ce qu’il comprend tous ces éléments. Est ce qu’il arrive à créer la balance entre l’objectif commercial, le respect sociétal, le respect des parties prenantes et le respect de l’environnement ? Le problème jusqu’au là dans le monde, est qu’ à un certain moment, on a été très commercial par rapport à l’environnement, à la société et dans d’autres pays on respecte la société mais on néglige l’aspect commercial. Encore une fois, c’est le leadership qui est le chef de projet. S’il les a les capacités pour être un chef d’orchestre ?

C’est-à-dire ?

Si on prend un chef d’orchestre il peut ne pas être un bon violoniste mais il est tellement professionnel dans la compréhension de chacun qu’il arrive à tout orchestrer et c’est la même chose pour un entrainer d’une équipe de foot, s’il va jouer avec les joueurs il n’est pas bon sur le terrain par contre il est bon pour le management de l’équipe dans la création de ce puzzle de manière qu’il fonctionne.

Pensez vous qu’il y a de grands projets en Tunisie

C’est une bonne question. L’absence de grands projets industriels ou d’infrastructure en Tunisie est un symptôme de la dégradation du tissu économique que nous vivons. Ceci dit, pour moi, la Tunisie est un projet en elle-même, mais un projet paralysé. Un projet qui n’avance pas et par conséquent il régresse.
La Tunisie est un projet qui n’arrive toujours pas à avancer parce qu’il manque de vision et du leadership adéquat pour traduire cette vision.

Les pieds au Texas, mais le cœur en Tunisie et les racines profondes à Gafsa. D’un œil externe au pays, comme jugez la Tunisie sur le plan politique social et économique ?

Comme beaucoup de tunisiens à l’étranger, c’est vrai qu’on passe pas mal de temps à l’étranger, mais on suit au quotidien ce qui se passe en Tunisie. Dans la situation actuelle, il y a beaucoup de potentiel perdu et je pense que le problème économique qui a été en fait à l’origine de la révolution (شغل حرية كرامة وطنية) reste traité d’une manière superficielle surtout dans le débat public.
En observant le « modèle » économique qui existe depuis les huit dernières années, et après étude de programmes économiques des partis, Je pense que la Tunisie tend maintenant vers un modèle de société à deux classes. Il faut absolument remettre et recentrer le débat autour de comment créer une classe moyenne solide. On a besoin d’aller dans la réflexion critique sur toute mesure, projet ou reforme proposée et de déterminer son impact sur cette classe moyenne. Cette critique devrait être le centre de l’évaluation de toute personne qui se présente en tant qu’ homme politique ou leader pour savoir l’impact direct de leurs décisions sur la classe moyenne.

Concernant le chômage par exemple, quel diagnostic et quelles solutions proposez-vous ?

Le chômage ou le taux d’emploi est une conséquence de politique de décisions qui se font au niveau du chef de gouvernement et du pouvoir exécutif et législatif. Il faut rappeler que dans la deuxième république, c’est le parlement qui est le moteur de l’économie et non la présidence de la république. Il faut se rappeler de ça et la leçon qu’on doit tirer des neuf dernières années c’est qu’un parlement inefficace équivalent à un gouvernement inefficace qui aussi équivaut à une économie inefficace. Compte tenu de la situation actuelle, j’appelle à des mesures extraordinaires de collaboration entre le gouvernement, le parlement et les organisations nationales pour pouvoir non seulement redresser l’économie et l’orienter d’une manière solide vers l’économie mondiale mais aussi inspirer chez les tunisiens une certaine confiance que la classe politique est capable de collaborer.

Pourquoi vous n’avez pas intégré les gouvernements auparavant ?

Quand on observe des gouvernements à trente ou à quarante ministres, et des équipes gouvernementales formes dans la base de l’appartenance politique au dépend de la compétence technique et managerielle, quand on observe des chefs de gouvernements sans vision, ce n’est pas difficile de prévoir une sorte d’échec. En Tunisie, malgré le fait qu’on dispose d’un potentiel important en terme de compétences, on a un problème de vision de pays, un problème de principes de gouvernance et on a surtout un problème d’une scène politique dans laquelle il y a une élimination quasi-automatique des compétences.

Quels sont les principes de gouvernance ou une bonne gouvernance ?

J’ai travaillé sur des projets dont le budget dépasse celui de l’Etat tunisien mais l’équipe est limitée à une quinzaine de personnes. Ils gèrent 20 mille ingénieurs et de la main d’œuvre distribué partout dans le monde, avec des sommes d’argent énorme ; alors qu’on a un gouvernement à 40 et 50 ministres et secrétaires d’états. L’effectif n’est qu’une petite partie dans tout ca, le potentiel en leadership et la compétence intellectuelle, technique et linguistique restent aussi a méditer. En Tunisie, on a eu des ministres qui ne savent même pas parler en anglais ou qui refusent de travailler par objectifs. De même, quand une équipe ministérielle n’est pas soudée et manque d’objectifs et protocoles de travail communs, chaque ministre et ministère deviennent sous la gouvernance quasi-totale du parti politique. Ceci met en danger l’intégrité de l’état et sa continuité. Encore une fois, je le répète, pour résoudre le problème économique, il faut résoudre le problème de leadership politique, de la forme et de la méthode de gouvernance en Tunisie. Il ne s’agit pas de changer la constitution dans l’immédiat, de changer le système, il s’agit de se mettre d’accord sur les principes de gouvernance efficaces. Et ceci inclut le besoin que le leadership lui-même « lead by example » ou sois l’exemple que tu veux, pour inspirer tout le corps gouvernemental.
Un projet doit avoir une composante objective de point de vue technique, un objectif de scope, un objectif temps et un objectif coût, après il faudrait rajouter la sécurité. Si le ministre n’accorde pas de l’importance aux délais du projet et à l’aspect coût, comment je peux blâmer un directeur général qui ne fait pas de même ?

Leadership politique, femmes et jeunes ?

La femme en Tunisie a le même problème que les jeunes quand il s’agit de l’ascension politique. On en parle des femmes et des jeunes, on les utilise pour faire les taches les plus dures, que ce soit dans la formation des partis, dans les campagnes ou même dans le travail au quotidien, mais quand il s’agit de leu accorder le pouvoir pour faire avancer les choses et prendre la responsabilité, on invoque tout type d’argument faibles comme l’âge, ou la personnalité ou autre. Aujourd’hui ce même mécanisme d’éloignement et stigmatisation des femmes et jeunes est en train d’être appliqué aux compétences qu’on traite de « technique » comme pour dire que c’est péjoratif et que ceci n’est pas compatible avec le politique. En d’autres termes, on essaye de nous faire croire que soit on est « politicien » soit on est « compétence technique » et on ne peut pas cumuler les deux.
J’appelle tous ceux qui travaillent durs, qui excellent dans leur domaines à s’impliquer dans la sphère socio-politique car on restant loin des sujets qui nous affectent, la médiocrité continuera a régner et décider pour nous.

On a parlé du modèle économique. Qu’en est-il du modèle sociétal, et quelle société on veut ?

Posons-nous la question : quels sont les outils et les critères qui font que l’ascension sociale est essentiellement basée sur l’ascension économique et éducative? Pourquoi est ce que dans des sociétés telles que la société américaine ou canadienne, des gens du monde entier différents dans la culture, la langue, la couleur, ont accès aux mêmes avantages ?
Premièrement, un système libre ne devrait pas demander au citoyen pas de changer en matière d’identité pour pouvoir accéder a ses droits. C’est à dire, le citoyen n’a pas besoin d’adhérer a un groupe ethnique, politique, religieux ou même civil pour pouvoir accéder aux avantages de bases telles que la rémunération pour son travail, la sante ou autre. Aujourd’hui en Tunisie, notre système pénalise l’éducation du moment où plus on est éduqué moins on gagne sa vie.

Quelles sont les valeurs qu’on met en avant, le mérite comment on le juge en fonction de l’âge ou par rapport à un autre critère ?

Dans une société saine, le mérite n’est pas obtenu en fonction de l’âge. Il est basé principalement sur le résultat du travail de chacun. En Tunisie, on doit corriger le modèle de l’ascension sociale par le mérite. On doit donner de l’importance à l’éducation, la formation professionnelle et à l’apprentissage. On doit valoriser tout ce qui est relatif à la valeur ajoutée.

Comment voyez-vous le rôle des compétences tunisiennes notamment les femmes à l’étranger et aux Etats-Unis ?

Les tunisiens aux états unis ne sont pas nombreux mais notre communauté est extraordinaire en terme de qualité de compétences présentes dans les grandes institutions privées et non gouvernementales, dans le domaine de la technologie, la finance et bien plus. Je suis fière de cela.
Je pense que le leadership politique en Tunisie devrait s’inspirer de l’expérience des pays qui ont réalisé un miracle économique comme la Corée du Sud et créer des mécanismes simples mais courageux pour que mes compatriotes les plus avancés dans les secteurs importants reviennent s’installer afin d’être actifs et contribuer au développement du pays. Ça me fait mal, quand j’ai eu ma bourse de l’Etat et je suis partie à l’étranger pendant cinq ans en France, la mission universitaire tunisienne n’a aucun contact avec les compétences.
Ces dernières années, il y a deux genres de fuite, la fuite des cerveaux et la fuite des ressources naturelles rares.

A qui vous devez votre succès ?

Certainement à mes parents qui ont cru en moi : mon père, Moncef Hamdi, docteur en statistique et ancien directeur au sein de l’Office National de l’Huile, tout comme ma mère, Faiza Khannoussi Hamdi, très généreuse, une formidable maman et femme au foyer. J’ai été nourrie, comme mes deux frères Alaeddine et Mohamed Amine, de grandes valeurs patriotiques et de la détermination à réussir.
Je dois aussi mon succès à ma grande famille, à mes instituteurs et professeurs, à toute une culture et un historique tunisiens. Ils ont cru à la Femme et à l’ascension sociale par l’éducation et le travail.

Entretien conduit par Samia Rebei

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