« Je n’aurais jamais souillé la statue de Montanelli …disons que ne l’aurais jamais réalisée. »

On entend de plus en plus de voix, faisant partie des autorités italiennes, s’élever ces derniers temps pour demander la contextualisation des exploits de Montanelli ,( célèbre pour avoir contracté un mariage de Madamato, en 1936,avec Destà.) essentiellement pour les justifier. J’ai pensé qu’il était opportun de replacer un peu ce sujet dans son vrai contexte.

Sa relation de Madamato (Cohabitation conjugale entre un européen et une indigène d’une colonie considérée comme un délit par la législation italienne à l’époque du fascisme) avec une jeune fille de seulement 12 ans eut lieu en 1936, à l’époque où une telle attitude semblait moralement acceptable et « normale ». Mais en étions-nous aussi sûrs?

Le code Rocco, code pénal entré en vigueur en plein régime fasciste, fixait l’âge du consentement pour les rapports sexuels à 14 ans. L’ignorance de l’âge de la victime (ici il s’agit de victime) à l’époque n’était pas excusable (art. 539, aujourd’hui abrogé).

Etant donné que, comme spécifié dans les travaux préparatoires au Code, on ne voulait pas «affaiblir la défense des mineurs, en particulier dans les périodes de l’enfance et de la puberté, durant lesquelles il faut une protection plus rigoureuse et efficace».
Par conséquent, une jeune fille de moins de 14 ans selon la loi italienne de l’époque était une enfant. Et une jeune fille de 12 ans érythréenne alors?

Pour les racistes de ces temps-là, une petite fille africaine était considérée comme de la viande fraîche pour divertir les mâles italiens. Mais cela valait pour les racistes. Ils n’étaient pas tous ainsi fort heureusement. Même 30 ans plus tôt, Ferdinand Martini, premier gouverneur de l’Érythrée de 1897 à 1907, s’était exprimé très clairement contre le “Madamato”, qu’il considérait comme un abus de l’homme blanc à l’égard des femmes, ou plutôt des filles africaines.

Martini soulignait l’évidente asymétrie de position entre les africaines, soumises au colonisateur, et les soldats italiens, colonisateurs qui ne cherchaient que leurs plaisirs. Malgré la désapprobation de Martini et de quelques autres « illuminati », ces pratiques continuèrent, contribuant ainsi à créer un imaginaire collectif des colonies comme une sorte de Harem bon marché.

Des colonies qui étaient souvent considérées comme un paradis pour les hommes d’un certain âge qui pouvaient se permettre d’avoir des relations non seulement avec des jeunes filles, mais aussi avec des enfants.

Il y a beaucoup de témoignages de viols d’enfants de 8 et 9 ans. En témoignent les procès d’un officier qui a enfermé une fillette de 9 ans et l’a violée pendant des jours. Il fut condamné pour violence charnelle, mais obtint des circonstances atténuantes car l’enfant était sans famille.

La femme africaine n’avait aucun droit aux yeux du colonisateur italien, qui se sentait supérieur en termes de classe, de race et de genre. (Ni l’enfant d’ailleurs)

Les femmes étaient battues et violées. On organisait de fausses cérémonies pour faire croire aux femmes africaines (qui n’étaient pas contentes d’être traitées comme des objets !) que leurs unions avec les soldats italiens étaient légalement reconnues.

La plupart du temps, ces femmes étaient trompées et embobinées afin de leur faire croire qu’elles étaient considérées comme des femmes légitimes.

Nous pouvons-nous lire des jugements délirants de juges italiens qui ne condamnaient pas l’exploitation de la femme, parce que cela rentrait dans le désir normal de l’homme blanc « qui ambitionne sexuellement la vénus noire et la maintient de côté pour la tranquillité de contacts faciles et sains » (Cour d’appel d’Addis Abbeba, arrêté du 31 janvier 1939). Mais ils condamnaient à la réclusion d’un an « l’homme coupable de prendre avec lui une indigène, pour l’accompagner dans ses différents déplacements, de l’avoir toujours fait bien manger et de dormir avec elle » (mais surtout « de l’avoir aimée ! »)

En somme, le problème n’était pas d’élever l’esclave comme compagne de vie, mais tant qu’elle restait esclave sexuelle, tout allait bien, pour la mentalité de l’époque. Alors, je me suis rendue compte que la mentalité de ce temps était en fait sordide, prévaricatrice à l’égard des femmes, des enfants et ouvertement raciste.

Peut-on admettre que l’absence de relations avec une mineure relève du libre arbitre des personnes? Que malgré le contexte cruel et barbare, les gens pouvaient encore choisir ce qu’ils devaient faire ou ne pas faire dans leur sphère sexuelle, surtout si leur comportement portait préjudice à des innocents ? Que certaines choses auraient dû rester tabous inimaginables à l’époque, même en Afrique ? Alors peut-on dire que le « c’était comme ça » n’était valable que pour les racistes pédophiles et pas pour tout le monde ?

En effet, pendant le fascisme et même pendant le nazisme, il y avait des gens bien qui choisissaient leur camp. Sinon, nous n’aurions pas eu des héros tel Schindler ou les nombreux héros italiens dont nous aimons en parler sur ces pages de La Farfalla della Gentilezza (https://www.facebook.com/lafarfalladellagentilezza/) , qui se sont opposés à la barbarie nazifasciste au péril de leur vie.

Dans un pareil contexte déshumanisé, leur responsabilité individuelle, leur droiture et leur libre arbitre sont restés intacts.
Par conséquent, non ! On ne peut pas absoudre un acte aussi horrible tout simplement parce que c’était le cas à l’époque. Ceci dit, je n’aurais jamais souillé la statue de Montanelli. Disons que je ne l’aurais jamais réalisée.

Mais puisqu’elle existe, laissons-la nous rappeler une époque où il était normal et socialement acceptable d’être raciste, violeur et pédophile. Alors peut-être nous souviendrions-nous d’avoir honte, de nous excuser auprès des africaines, et pendant que nous y sommes de nous rappeler aussi d’avoir honte de tous nos compatriotes qui, aujourd’hui encore, continuent de faire du tourisme sexuel dans le monde.

Parce que les jeunes filles ne sont pas des enfants seulement chez nous, elles le sont partout ailleurs.

Valentina Donini
Traduit de l’italien par Rym Nozha Bensedrine

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