Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve : « La proximité entre la Tunisie et la France, dans l’appréciation des noms et de leur hiérarchisation ».

 

AVT_Fatma-Bouvet-de-la-Maisonneuve_3493Son regard est rassurant et son sourire est comme une promesse d’espoir dans un monde souvent cruel. C’est une personne amicale, attachante  a autant de fans en France qu’en Tunisie. Il s’agit du Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre spécialisé en addictologie.  Née en Algérie, elle a évoluée en Tunisie. Elle est la fondatrice de la première et unique consultation d’alcoologie pour femme à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Son combat a presque toujours été pour le bien être de la famille qui passe avant tout par le bien être de la femme universelle.. Ses nombreux ouvrages en témoignent devant des titres qui ne laissent pas indifférents tels « Enfants et parents en souffrance », « Les femmes face à l’alcool, résister et s’en sortir », « Le choix des femmes »…ou encore son dernier cru « Une arabe en France, une vie au-delà des préjugés ». Les plus grands magazines étrangers font également appel à elle pour avoir son avis sur différents sujets. Toujours joignable et disponible pour servir autrui, elle ne quitte jamais son portable et est en permanence par monts et par vaux… Sans aucun doute, Fatma Bouvet de la Maison Neuve est une bosseuse. Une passionnée de son travail qui ne fait pas les choses à moitié. Elle est comme le bon pain, elle est complète !

Médecin psychiatre, addictoogue, essayiste et membre du Conseil Economique Social et Environnemental et n’a pas encore dit son dernier mot ! Pour en savoir un peu plus sur cette psy pas comme les autres, elle a accepté gentiment notre entretien.

Si vous aviez à vous définir, vous diriez quoi ?  

Il est très difficile de se définir, il vaut mieux demander aux autres afin de leur demander comment ils me perçoivent. Mais si vous voulez savoir les premières pensées qui me viennent le matin au réveil c’est que je suis une mère de famille qui a un travail passionnant et des activités et engagements sans cesse en mouvement toujours en lien avec les autres,  quelques préoccupations et problèmes à gérer.

Vous êtes la première tunisienne en France à avoir ouvert une unique consultation en alcoologie pour femme. Qu’est ce qui vous a poussé à le faire ?

Je suis la première médecin psychiatre à avoir ouvert cette consultation en France ! Il n’y en avait pas avant et elle demeure la seule sur ce modèle. D’autres pays européens ont cherché à s’en inspirer, ainsi que d’autres services en France. Les addictions sont des troubles mal connus et souvent vécus dans la culpabilité. La représentation que l’on a globalement d’une femme qui boit  de façon dite anormale est si péjorative et représente  un poids tel que les femmes ont honte de parler de leur maladie car c’est une maladie. Alors, elles continuent de boire en se cachant de tout le monde, y compris de leurs médecins en camouflant les stigmates de l’alcoolisation chronique.

Cette consommation chronique et sévère engendre des complications somatiques, psychiques, sociales, familiales, administratives … Alors, lorsque j’ai vu que certaines osaient nous demander de l’aide en se présentant comme fautives j’ai pensé qu’il était judicieux de leur proposer un espace qui leur serait exclusivement réservé et dans lequel elles pourraient s’exprimer en toute liberté et sans jamais être jugées. C’est ainsi que nous avons monté cette consultation dans lequel toute une équipe multidisciplinaire réalise un travail formidable et recueille la confiance et la reconnaissance des patientes.

Une journaliste en France avait dit de vous que votre «  nom à lui seul
traduit un parcours singulier, qui lie un prénom joliment maghrébin à
un nom très vieille France » Que pensiez vous de cette réflexion ?  

J’ai pensé que c’était effectivement singulier il y a quelques années, mais aujourd’hui les mariages dits mixtes sont de moins en moins rares et heureusement. Je suis une Maghrébine qui a rencontré un Français, plus simplement une femme qui a rencontré un homme.  Non pas un prénom qui a rencontré un nom. Tout un chapitre de ce livre traite de ce sujet, je ne vais pas tout dévoiler ici, il faut lire. D’abord parce qu’effectivement nous avons eu, mon mari et moi à observer des réactions de curiosité, mais nous avons aussi entendu des propos bienveillants comme ceux que vous mentionnez. Le plus intéressant est la proximité entre la Tunisie et la France dans l’appréciation des noms et de leur hiérarchisation. J’en parle longuement dans mon livre, vous verrez, c’est aussi drôle qu’anachronique!

Le terrorisme qui envahit le monde actuellement engendre t-il des
patients différents ?

Les patients ne sont pas différents, ce sont les troubles qui sont différents ou plus fréquents, comme le stress post traumatique pour ceux qui ont vécu directement ou indirectement les attentats. J’ai reçu des patients qui ont eu à soigner des blessés du Bataclan, des professionnels de santé, d’autres avaient un parent dans la salle-même… J’ai eu à écouter des mères d’enfants partis en Syrie, ou kidnappés par leurs pères devenus « Djihadistes », dont beaucoup de mères tunisiennes, d’ailleurs. Les humains sont les mêmes, ils sont tous sous le coup de la terreur et c’est bien là le but des terroristes.

En consultation, le sujet revient souvent s’il a été déclencheur d’un trouble ou s’il l’a renforcé. Pour donner un exemple, je citerais la phobie des moyens de transports : de nombreux patients aujourd’hui ont peur de prendre le métro ou l’avion de peur d’un attentat, c’est alors que la symptomatologie anxieuse se déclare si elle n’existait pas, ou s’aggrave qui elle se manifestait à bas bruit ou si elle était encore cours d’amélioration. Ce qui est nouveau ce sont les questions identitaires qui prennent beaucoup de place dans nos entretiens. Elles viennent de  patients de toutes origines et confessions.

Arrive t-il à un psy de consulter un autre psy ?

Bien sûr, heureusement que nous pouvons parler à un professionnel, car il arrive aussi que nous allions mal, nous ne sommes pas infaillibles et puis c’est un métier très dur. Je voudrais rappeler que l’exercice de la médecine toutes spécialités confondues, n’est pas anodin, il faut donc réfléchir avant de clouer au pilori toute une profession comme je vois que cela se fait aujourd’hui en Tunisie. Je soutiens tous mes collègues dans ce moment difficile. Pour revenir à la psychiatrie,  consulter un psychiatre  peut se faire dans divers contextes, celui de la formation, comme la psychanalyse, puis la supervision, ou alors celui de la prise en charge thérapeutique.

Vous prouvez à chaque fois que vous êtes en pulsation directe avec la société française et tunisienne…Vous vous sentez le mieux dans lequel des pays ?

C’est une question à laquelle je réponds longuement dans mon livre.  J’ai un attachement viscéral à la Tunisie qui est le pays de mon enfance et de mes ancêtres,  cette relation est différente de celle que j’ai avec la France que j’aime, qui m’a donné l’essentiel : mes enfants, mon mari et d’autres idées. Vous voyez donc que je ne peux pas dire où je me sens le mieux. Lorsque je suis en France, je pense à la Tunisie et lorsque je suis en Tunisie, je pense à la France. C’est probablement cela être entre plusieurs cultures.

Votre métier vous enrichit tous les jours, et il en découle des ouvrages, de plus en plus d’ouvrages. Parlez nous de votre premier geste envers le premier et le dernier qui est totalement différent sur le parcours d’une arabe en France. Est-ce votre propre histoire? 

Mes premiers ouvrages étaient directement en lien avec mon activité professionnelle. Mais ils ont tous les trois abordé des questions taboues, c’est une attitude que j’aime bien avoir dans la vie en général: briser les idées reçues et dire tout haut les choses que l’on veut cacher. Je pense que plus on dissimule un problème, plus il se chronicise. Le déni aggrave les malentendus et provoquent des conflits et des souffrances. Même si ce dernier livre est plus personnel, il se situe probablement de ce fait dans la lignée des précédents. J’ai essayé de mettre les cartes sur la table pour parler des idées fausses que l’en entretient les uns sur les autres des deux côtés de la Méditerranée et qui sont un obstacle au dialogue et à une harmonie entre des peuples qui se côtoient depuis des siècles. La différence de « Une Arabe en France » avec les précédents ouvrages réside dans son aspect plus personnel, probablement.

On pourrait dire de vous que vous êtes entre psychologie et communication
vu votre double formation.  Cela rend-il service également à l’auteur
que vous êtes ?

Vous voulez parlez de ma formation en marketing ? Si c’est cela, elle me rend de grands services lorsque je vois des patients en souffrance au travail. Car après avoir fait un master en marketing, j’ai travaillé parallèlement à l’hôpital, dans l’industrie du médicament. Je  connais donc bien les rouages de l’entreprise, les enjeux dans une équipe etc. D’ailleurs c’est lorsque je n’ai plus pu supporter l’atmosphère en entreprise que j’ai décidé de me consacrer entièrement aux patients. Et effectivement cette expérience me permet de comprendre plus rapidement ce que d’autres confrères qui n’ont jamais travaillé en entreprise, mettent du temps à saisir: les propos et inquiétudes de nos patients. Cette expérience m’aide donc davantage dans la prise en charge de mes malades que dans celle de l’écriture.

Ce livre sera-t-il vendu en Tunisie ? Si oui y aura-t-il une séance de présentation avec vous ?

 J’espère bien qu’il sera vendu en Tunisie, puisque je parle beaucoup de Tunisie! J’ai eu l’immense honneur d’avoir déjà été sollicitée pour des signatures, il faut que je m’organise avec mon éditrice, Odile Jacob, pour cela. Mais reste la question du prix qui est trop élevé pour les Tunisiens. L’idéal aurait été qu’il soit édité en parallèle par un éditeur tunisien.

Vous êtes sans doute au courant que plus que la moitié de la population tunisienne souffre de dépression ? Pensez-vous un jour ouvrir un cabinet en Tunisie?

J’ai vu ce chiffre dans un ancien article, et il  me paraît effrayant. Il faut vérifier sur quelle base ont été donnés ces chiffres car la dépression est une maladie grave et on en fait le diagnostic sur la base de critères bien particuliers. La moitié, cela voudrait dire une personne sur deux, je dois reconnaître mon scepticisme. Une étude Australienne publiée en 2013 a monté que la Tunisie était en effet un des pays qui comptait le plus de dépressifs avec 7% de la population. Il faudrait faire un travail pour obtenir des chiffres exacts localement. Un très bon travail a été réalisé par mes collègues de l’hôpital Razi après la révolution. Pour ce qui est de mon exercice en Tunisie, cela n’est évidemment pas exclu, probablement de façon ponctuelle, mais  au moment opportun afin que ma vie familiale n’en pâtisse pas.

Quel est le métier que vous n’auriez jamais pu faire ?

Je peux vous répondre au sujet de ceux que je n’aurais jamais « voulu » faire, c’est contrôleur de gestion, c’est certain. Les chiffres me font peur. Mais s’il m’était imposé pour une raison ou une autre de faire ce métier je pense que je pourrai. Donc je ne sais pas quels sont les métiers  que je n’aurais jamais « pu » faire.

La meilleure façon pour vous de faire un break?

Aller dans notre maison de Jerba

Quel serait l’homme idéal pour vous?

Le mien !

Votre psy préféré ?

La mienne

Des rêves ? Des projets ?

J’ai tellement de rêves et de projets qu’il vous faudrait plusieurs pages pour transcrire mes réponses…

Entretien conduit par Nadia Ayadi

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