Hechmi Marzouk « J’avais comme assisté aux funérailles de mon fils lors du déboulonnement de la statue équestre de Bourguiba
Il est né à Maharès d’une famille modeste. C’est là, dans un lieu brut recouvert d’anciens carrelages, de pain chaud pétri par la maman, d’odeur de menthe fraiche, de sciure de bois, un matériau de prédilection pour apprécier par la suite le marbre et le bonze. Lui, c’est Hechmi Marzouk le célèbre sculpteur. Il aimait le dessin et s’amusait tout petit à réaliser des esquisses devant sa mère si aimante et si attachée bien particulièrement à son petit homme. Sa maman femme au foyer aimait fort tous ses enfants mais différemment. Elle était sans doute préoccupée par la petite taille de Hechmi dû sans doute à une maladie contractée alors qu’il était en pleine croissance et la maman culpabilisait sans cesse.
Plus tard lorsque son fils avait opté pour des études de beaux arts à Tunis, sa maman eut peur de le perdre mais voulait en même temps lui faire plaisir. « Mon père n’avait pas les moyens pour m’envoyer à la capitale à 20 ans ni encore plus pour financer mes études et il fit part de ce soucis à ma mère. C’est alors qu’elle s’éclipsa dans la « maksoura » et n’avait pas hésité un instant de se délester de toute sa dot, véritable trésor de toutes les femmes de l’époque lors de leur mariage.
Elle enveloppa toute cette richesse dans un foulard bien nouée devant mon père qui ne trouva plus rien à dire. On savait tous qu’un tel geste considéré grave était le sacrifice suprême qu’une femme puisse faire à ce moment là lorsqu’elle se sépare de sa dot qui représente sa sécurité économique si un jour elle se retrouve seule. Mon père si ému par ce geste avait décidé de prendre en charge mes études. Je n’oublierais jamais la sollicitude de mon père et surtout jamais le sacrifice de ma mère à qui je dois tout. » confie les larmes aux yeux Hachemi Marzouk.
Nous avons rencontré cet homme à l’appétit de travail presque hors norme qui a eu sans doute de temps à autres à souffrir de sa taille modeste même si elle n’en parle jamais. Ce qui est certain en tous cas, c’est qu’il a pu comme personne développer une volonté de sublimation qu’il illustre dans le sculptural, dans la recherche de l’équilibre, des formes et du rapport que de son propre corps entretient avec les autres corps et les volumes. Comment définir un tel artiste? Un designer, un dessinateur, un sculpteur?
Un peu des trois, probablement. À quoi bon le savoir ? Pourquoi doit-on forcément être mis dans une case ? Lui, il est libre et de travailler. Ses pièces en bois, en marbre ou en bronze qui célèbrent la matière, le travail manuel et les arts appliqués.
Le talent prouvé haut la main à l’Ecole des beaux-arts de Tunis, l’Etat lui accorde une bourse pour qu’il puisse pousser encore plus ses études à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris. « J’ai été l’élève du sculpteur Fage pour être ensuite étudiant dans l’atelier d’Henri Saada pour le dessin et la couleur. Mes cours de perspectives m’on été données par M. Bonito. »
Des galeristes et consultants en design ont commencé à s’intéresser à son fabuleux travail. « D’un coup, j’ai compris que j’avais du potentiel. » Il eut alors comme professeur de sculpture Collamorini et Coururier son autre professeur de modelage.
Un rare diplôme d’un merveilleux sculpteur couronna le tout, poussa l’artiste à revenir à sa première école pour assumer cette fois ci, la fonction de professeur de sculpture à l’Ecole des Beaux-Art de Tunis. Il y restera jusqu’en 1984.
Un début de carrière riche en récompenses et des étapes importantes dans son parcours. C’est encore lui qui avait remporté le premier prix national pour la réalisation du monument de Tabaka représentant Bourguiba en exil à l’Ile de Jalta. Un autre à Kairouan réalisé en 1980 et déplacé à Monastir en 2016.
« Ce que j’ai remporté m’a permis de débloquer certaines choses en moi. J’avais besoin qu’on donne une légitimité à mon travail pour pouvoir avancer.
Ce qui m’intéresse, c’est d’explorer toutes les frontières des matériaux et en expérimentant les manières de les sculpter. Mon champ d’exploration est très large. Sinon, je m’ennuierais. J’ai besoin d’être continuellement en contact ces matières.
Je veux que mes pièces puissent être touchées. Les gens ont perdu le contact avec la matière et avec la nature. J’ai besoin de cette visibilité pour toucher un public d’acheteurs et de collectionneurs, mais aussi les architectes et les décorateurs. ».
Déjà en 1971, Hechmi Marzouk a été choisi chef décorateur des films réalisés par le grand cinéaste franco-espagnol Fernando Arrabal. En 1976, lors du concours international avec la participation de plusieurs sculpteurs européens pour la réalisation de la fameuse statue équestre de Bourguiba, il n’était pas dans ce concours. « J’en étais un peu vexé et j’en ai parlé à Chadli Klibi qui confia que c’était un concours pour les européens. Le tunisien n’est pas concerné par un concours émis par le président Bourguiba lui avais je dis encore plus offusqué ? Bourguiba eut vent de l’affaire et trouva légitime ma requête.
Le concours eut lieu sous l’anonymat des numéros pour éviter les complaisances. J’ai eu le premier prix. ». L’artiste avait proposé des techniques extraordinaires de la représentation du modelée. Une occasion de réaliser les monuments équestres de Bourguiba à l’ex place d’Afrique. Depuis, il devint le sculpteur préféré du président et le plus convoité en Tunisie.
Lorsqu’on demande sa réaction lorsque La statue équestre fut déboulonnée sous Ben Ali, l’artiste répond amèrement « un journaliste m’avait téléphoné pour me dire qu’on était en train de déboulonner le monument, j’ai pris ma voiture en roulant très vite, j’étais bouleversé. Arrivé sur place, je voyais des chalumeaux sous la statue. Arrêtez je vous prie, il y a un autre moyen de le faire. Laisser moi faire sans ces chalumeaux. Il suffit de déboulonner. Mes cris n’avaient pas d’échos, c’est alors que j’ai gravi une échelle pour arriver aux militaires. J’entendis une voix dire « laissez le, le monument lui appartient. Lorsque la statue fut complètement par terre, j’ai senti que j’enterrais définitivement mon fils. ».
La statue fut déplacée à la Goulette en 1988 et remise à sa place à l’avenue Bourguiba par le président Béji Caid Essebsi. « Lors de la bonne nouvelle, j’avais passée toute une journée à dépoussiérer, à nettoyer et à lustrer la statue. Je suis ensuite rentré chez moi pour prendre ma douche et m’habiller. Arrivé sur les lieux, les barrières étaient bien fixées, beaucoup de monde était sur place et le président était déjà là. Je m’approchais pour accéder à cette fête mais on ne me laissa pas participer à cet événement historique. Hajer Bourguiba avait vu que j’étais comme tout le monde derrière les barrières. Elle alla parler au président mais rien ne fut fait. Une fois la foule partie, je pu enfin pénétrer l’espace. J’observais le monument et je me suis mis à pleurer à chaudes larmes. C’était comme si on m’avait interdit d’assister au mariage de mon fils. ».
Hechmi Marzouk a révolutionné le système sculptural en Tunisie qui a fortement animé les espaces publics les plus symboliques et d’une grande valeur également politique. C’est comme si la sculpture se réimplante de nouveau en Tunisie. Cet art était en effet lié à un sujet de grandes controverses et de provocations dans un pays à la culture musulmane. La problématique de l’image et de la représentation figurée était très difficile à admettre.
La reprise de la pratique sculpturale est récente et Hachmi Marzouk avait baigné directement ou indirectement dans une longue histoire fertile de la sculpture. Il a développé un rapport très instable avec le problème de la représentation figurée. Profondément croyant, il consultera des fekihs et discutera ave de nombreux Oulemas et imams sur l’éventualité que son travail soit considéré comme blasphématoire. L’artiste mit malgré tout du temps pour se débarrasser de son « doute méthodique ». Il finit en fin de compte de se débarrassera définitivement des ces soucis pour entrer carrément dans la pratique sculpturale pour en faire l’outil le plus expressif et efficace pour s’exprimer librement de sa vision de son monde artistique, esthétique et universel. « Mes pièces doivent parler d’elles-mêmes. Elles ont une symbolique forte. »
Aujourd’hui « Le fait que mes pièces puissent, de mon vivant, rejoindre les collections de plusieurs collectionneurs me rend forcément très fier. Cette reconnaissance m’encourage à continuer mon exploration artistique dans des pièces uniques qui sortent de l’ordinaire.
« Dès que j’ai une idée en tête, j’ai besoin de la réaliser. Je tends vers davantage d’épure. J’ai ce besoin d’aller vers des pièces de plus en plus brutes, imposantes et sculpturales. »
« Depuis toujours, j’ai cherché à créer des pièces qui durent plus qu’une vie. Je préfère, encore une fois, me concentrer sur mon travail, sur la quête d’équilibre qui figure au centre de ma démarche. ».
La façon dont la lumière vient s’y réverbérer fait ressortir l’invisible dans ses créations, tel que cette sculpture dans l’esquisse de différents corps où Chacun y trouve son illusion.
Ses créations ont signées son lien d’intégration à cet art telle son exposition au violon bleu qui est inédite. « C’est la première fois que j’expose ma dernière collection qui a pris dix ans de ma vie.».
Son parcours exceptionnel de plus de 60 ans de travail, représente aujourd’hui une contribution précieuse au mouvement plastique tunisien approuvé totalement par les maîtres de la sculpture contemporaine dans le monde. « Hechmi Marzouk et la Sculpture en Tunisie » vient de voir le jour.
Un important ouvrage de 240 pages dans une sublime couverture signée de la réalisatrice Ines Marzouk. Une vie riche à la force des poignets qui présente comme produit fini, le travail sculptural et les gênes artistiques dans un processus de création le plus mouvementé où l’artiste trouve continuellement et intensément aux matériaux les plus durs de la résistance.
Avant de quitter l’artiste qui nous a exclusivement accordé cet entretien, nous confie malgré tout tristement qu’une statue de Bourguiba offerte à Gabes, est une œuvre magistrale.
Elle est totalement en bronze et mesure 6 mètres. Cette statue n’a jamais vu le jour dans la ville. Elle est « séquestrée » et recouverte de poussières dans un dépôt de la municipalité de cette ville. Mon ultime souhait est de reprendre cette œuvre pour la placer dans ma ville natale de Maharès.
Nadia Ayadi
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