« Je reste confinée…les crises sont à la source des changements… et si on changeait ? »
Elle était finalement revenue au pays par une belle journée aussi ensoleillée que sa chevelure et aussi brillante que ses yeux et son esprit vif. Elle, c’est Amel Djait, la talentueuse journaliste, agitatrice économique, la muse des poètes et l’inspiratrice des mille et une Tunisie. Aujourd’hui, elle connaîtra les milles et une nuits d’impressions et de son confinement à l’ère Covid-19.
Dans le bus, elle repensait déjà à « la machine du rapatriement » et de tout ce qui s’en suivra. Cette machine « est bien huilée confie Amel. Un accueil pro et rapide des équipes de la Santé, Tourisme, Intérieur et Transport».
La machine de la réflexion se déclenche depuis cet instant. Un livre inédit sommeillait en elle. Il se mit à décrire son quotidien poignant.
« Dans les bus, on était vingt cinq personnes. Top ! alors que dans l’avion, nous étions entassés comme des sardines. Je ne m y attarderais pas!
Fatiguée mais ravie de rentrer chez moi après plusieurs semaines d’absence.
Ce petit pays se révèle toujours dans les conditions difficiles…Avec le temps et les expériences, je sais plus que jamais, qu’au bon moment, je peux compter sur lui!
Elle a de jolis yeux et une douceur dans sa façon de s’exprimer. Elle, c’est le docteur qui vient prendre ma température. « Tout va bien apparemment mais il faut rester vigilent et savoir s’écouter. Tenez nous au courant sur votre état de santé me dit-elle. Bon confinement ! ».
Je repense aux équipes médicales qui nous ont reçus à l’hôtel. Jeunes, souriants et confiants. Ils posent des questions, stérilisent les objets, se protègent et travaillent en silence. Imperturbables, ils rassurent ceux et celles qui cèdent à la panique.
Une vieille dame, pleure dans l’ascenseur quand je descends au 3ème étage alors qu’elle devait monter au 4eme…Je me demande si elle saura trouver sa chambre.
J’ai entendu les équipes de l’hôtel s’activer dans les couloirs. Personne n’aura de clef, donc si jamais quelqu’un sort, il ne pourra revenir à sa chambre…Confinement oblige. Je me pose la question sur ce qu’est un bon confinement. Surement en sortir saine et sauve mais aussi se poser des questions sur soi, sa vie, ses choix, son avenir…Et les autres, la famille, le pays, les nécessiteux, les malades, les autres pays…
Tout me semble plus doux.Tout me semble idéal pour un meilleur départ.
Avec ce confinement, je ne peux penser qu’aux diverses voies possibles pour dépasser cette crise…Et j’en rirais, une fois dépassée…Pour le moment, je reste confinée et me dit que les crises sont à la source des changements !
Et si on changeait?
Mes outils Zoom et Discord sont en place. Je les utilise avec gourmandise.Besoin de sentir le monde bouger dans ce silence. La télé, mon ordi, la musique, les infos…Tout tourne en boucle. Mais mes outils vitaux durant ce confinement restent ma serpillière, mon sceau, mon eau javellisée et mes sacs poubelles. Les équipes de la santé les lèvent deux fois par jour.
Encore un jour de confinement aussi apaisant que la pluie du matin.Toujours pas de clef de la chambre de l’hôtel. Impossible de sortir. Tous les accès sont de toute façon fermés.
Je repense à ces milliers de tunisiens encore bloqués à l’étranger. Je suis enfin rentrée et remercie tous ceux qui m’ont aidé à revenir en Tunisie. Je vocifère encore contre nos consulats et ambassades qui n’ont pas levé le petit doigt pour moi et imagine l’état de mes compatriotes qui sont encore bloqués dans les quatre coins du monde. C’est surement pire dans des pays où nous n’avons pas de représentations.
Bloqué à l’étranger est vraiment difficile à vivre. Je me souviens encore de mes jours de doutes. Comment résister au manque de visibilité? Comment faire attention à ses moyens, tous ces moyens? Comment vaincre la peur quand on sait que l’on peut attraper cette saloperie à n’importe quel moment? Si je meurs, on me ramènera en combien de temps?
Confinée et à l’abri, je pense aujourd’hui aux étudiants qui vont revenir en masse. Qu’a t-on prévu pour eux ?
L’Etat va t-il continuer sa politique de prise en charge des rapatriés? Pourquoi ne fait-on pas systématiquement un test en laissant les gens renter chez eux moyennant prisons et amendes s’ils ne respectent pas le confinement? Pourquoi ne pas mettre en place un système de paiement de son propre confinement, pour ceux qui ont les moyens et l’Etat continue de prendre en charge ceux qui n’ont en pas? Pourquoi continuer à payer 40 dinars par jour à Tunisie Catering alors que les hôtels pourraient se charger de le faire? Je ne ferais pas plus de commentaires sur le sujet!
Pourquoi ne pas impliquer les fédérations des restaurateurs et des localités dans chaque ville où il y a confinement pour un approvisionnement des repas aux confinés? Cela ferait travailler du personnel de la gargote, au resto…( je donnerais tout pour un « keftagi » ! ). De mon confinement en version maussade, je me demande si des évaluations sont faites de la gestion de cet aspect d’une crise sans précédent.
Bravo à l’anticipation du gouvernement et à la prise en main réussie pour éviter le pire. Reste que maintenant, la gestion de cette crise ne doit pas provoquer d’autres crises ! L’heure est à la solidarité et à la concertation.
L’Etat assume, gère, décide mais doit rester serein et rassembleur. Il doit soutenir ses populations, ses secteurs, ses malades, ses jeunes, ses vieux…Il doit gouverner avec des valeurs.
Ma mise en « quatorzaine » arrive bientôt à sa fin. Il fait beau. Je prends un bain de soleil( Vitamine D) alors que je prends de la C et du Zinc depuis un mois. Les jours passent et bientôt la fin de ma quarantaine. Aujourd’hui, on nous livre des serviettes fraîches et propres…ça fait du bien! Ce matin, plus d’une dizaine de rapaces ont volé au dessus de ma chambre. Au tel, un ami me dit qu’ à Djerba les dunes de sables ont repris leurs droits sur la plage. Dans les fleurs, les papillons sont heureux. Je me demande ce qui a bien pu changer autour de nous, en nous? Quel impact aura cette crise sur notre conception de nos propres vies?
La porte frappe. J’ouvre nonchalamment. Les équipes qui nous encadrent durant cette période nous offrent des livres
» C’est de la part du Ministère de la culture !
Vous voulez des romans? En arabe, français ou anglais…. »Je ferme la porte et souris.Ce pays m’étonnera toujours!».
Demain la délivrance. Les bagages sont pliés. Impatiente, impatiente et hyper impatiente…
Mon confinement aura coûté à l’Etat 600 dinars pour mes repas. Sans compter l’eau, internet et l’électricité à la charge de l’hôtel ou de l’Etat?
Merci au personnel de la société en charge de la coordination. Merci à l’hôtel qui nous a hébergé.
Le médecin est venu nous voir que le premier jour mais la Direction de la Santé régionale a téléphoné deux fois par semaine pour avoir des nouvelles.On ne nous fera pas de test Covid! ( aberrant!)
Un médecin nous signera un document de fin de quarantaine. Je me sens bizarre!
Amel Djaiet a déjà bien eu des moments durs et difficiles dans sa vie. « En fait, certaines personnes ont déjà eu leur propre crise de Covid-19. Dans mon cas, ma crise du coronavirus je l’ai déjà eu l’année dernière et celle d’avant. Depuis, j’ai changé et ma vision de la vie a changé… »
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