Boutheina Al Melki : La femme qui réalise les rêves les plus fous

Avec son esprit vif, son beau regard de biche et sa bonne intelligence, elle a toujours su évaluer ses forces et ses points faibles et l’humilité de les accepter. Mais elle sait  s’entourer de personnes aux compétences certaines, pour donner vie à ses idées.
Tout au long de sa vie, elle a été très attachée aux valeurs familiales d’amour  et de respect.
L’attention aux autres était essentielle dans la vie de Boutheina puis que c’est d’elle qu’il s’agit. De multiples engagements dans l’Association Omnyati dont elle en est la présidente. Tous ces engagements prenaient leur source dans sa foi et ses convictions. Sa vie, toute en simplicité a été riche, belle et surtout humaine. Elle a récolté ce qu’elle a semé..
Passionnée et animée par un profond désir de préserver la vie humaine, elle s’est engagée dans cette bataille pour réaliser les rêves des enfants malades défavorisés. Son don de soi et cette générosité  donnent espoir en l’avenir à ceux qui en ont besoin.
Durant des années  de présence auprès d’enfants malades qui ne sont pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche, Boutheina a pu constater le bien-fondé de sa démarche : certains enfants découragés qui refusaient les traitements les acceptent à nouveau. Car, un enfant qui s’autorise à rêver et à désirer peut aussi espérer de nouveau. Nous avons rencontré cette femme exceptionnelle.
Boutheina et son équipe  ont décidé de consacrer  la majeure partie de leur temps libre, à participer à l’élaboration d’un monde qui a plus de sens.

/ Boutheina El Melki, comment pourrions-nous vous définir ?

Comme toute personne, j’ai des qualités et des défauts. Certaines qualités peuvent néanmoins être un fardeau !

/ Comment cela ?

Je suis très méticuleuse, perfectionniste, entière et exigeante. Je peux être brutalement honnête, car je n’essaie jamais d’impressionner les gens avec des mots doux. Par contre, je fais tout pour les gens que j’aime. La loyauté et la sincérité sont des qualités clés dans ma vie.

/ On dit que vous êtes surtout une femme de défis !

Je suis une personne déterminée !  Je poursuis mes objectifs jusqu’au bout quels que soient la bataille ou les obstacles. On me décrit également comme une leader.

/ Une leader au grand cœur quand même…

J’ai un grand cœur oui, mais si jamais une personne essaie d’abuser de ma confiance,  je l’élimine de ma vie ! Mes erreurs et faiblesses du passé sont ma force d’aujourd’hui.

/ Pouvez-vous nous présenter votre Association et quels en sont les objectifs ?

Omnyati est une association caritative, à but non lucratif dont le but est de réaliser les rêves d’enfants atteints de maladies graves, incapacitantes ou incurables.

Omnyati essaie de redonner le sourire aux petits patients ainsi qu’à leurs familles qui vivent des moments difficiles. La joie que confère la réalisation des vœux renforce la résilience des enfants malades et les aide à retrouver la joie de vivre.

/ Pouvez-vous nous confier ce qui vous a poussé à vous lancer dans cette aventure si humaine ? 

C’était en 2008,  j’ai voulu lancer une association pour la sensibilisation au cancer du sein afin de rendre hommage à ma chère défunte mère qui a mené avec beaucoup de courage une bataille contre cette maladie. Mes partenaires étaient Américains et ils souhaitaient sillonner le pays avec des caravanes médicales pour effectuer des dépistages de cancer du sein auprès des femmes vivant en milieu rural. Ma demande n’avait pas abouti, car à cette époque, il n’était pas du tout  facile de fonder une association.

Lors d’une rencontre avec une amie libanaise  en 2010, j’ai découvert son association créée suite au décès de son fils Karim et chaque rêve exaucé était pour elle le rêve de son défunt fils. Séduite par cette association, je me suis rendue au Liban pour en savoir plus quant à cette initiative et suivre de près les activités de Tammana qui est aujourd’hui notre association sœur. Omnyati est née en 2011. Tammana m’avait inspiré et Omnyati m’a retenue en Tunisie où je ne résidais pas à ce moment-là.

/ L’Association vient d’obtenir un statut spécial auprès des Nations unies. Une première en Tunisie après la révolution ?

Le statut consultatif est accordé par l’ECOSOC sur recommandation du Comité chargé des ONG de l’ECOSOC composé de 19 Etats membres. L’ECOSOC, est le conseil économique et social des Nations unies. Il  fait partie de ses six organes principaux  aux côtés du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale, du Conseil de tutelle, de la Cour internationale de justice et du Secrétariat général.

/ Quels sont les rejaillissements de ce statut sur « Omnyati » ?

Ce statut nous permet de prendre part aux conférences internationales entrant dans nos domaines d’action et organisées par les Nations unies, ainsi qu’aux réunions des organes de préparation desdites conférences. Cette reconnaissance majeure permet à Omnyati de s’ouvrir aux nouvelles opportunités sur le plan international afin de défendre les droits des enfants en situation difficile et de leur famille. Ce statut va en effet nous offrir la possibilité de faire entendre nos voix dans les enceintes internationales et de contribuer ainsi aux travaux de l’ONU.

/ Quelles sont les actions phares de l’Association?

L’école à l’hôpital fut une première en Tunisie. Nous l’avons lancée en 2014 en partenariat avec Ooredo et Tunaction  à l’institut de neurologie Mongi Ben Hamida. Notre slogan pour cette action était : « Si on ne peut pas aller à l’école,  l’école viendra vers nous ».

En 2019, nous avons pris en charge une école entière à Jebal Samama où 120 écoliers ont eu leur fourniture scolaire, leurs habits et chaussures. Ce n’est certes pas le rêve d’un enfant malade mais voir ces écoliers épanouis et heureux était un pur bonheur pour toute notre équipe. Omnyati a également contribué à restaurer le centre des non- voyants à Ben Arous, pris en charge les travaux de peinture de tout le bâtiment et a réaménagé l’espace de loisirs du centre.

Les brunchs annuels de notre association est une action à laquelle nous tenons : nous rassemblons trente enfants hospitalisés  menant une bataille contre le cancer  et trente enfants bien portants. Ce brunch est toujours organisé à l’hôtel Movenpick à Gammarth, notre partenaire fiable.

L’objectif de cet événement est de réunir ces enfants issus de milieux différents et de développer le sens de l’empathie chez les enfants sains. Le but étant que les inégalités sociales et les différences disparaissent.

Nos enfants malades passent des moments qu’ils ne sont pas près d’oublier d’aussi tôt.

L’action «  la nuit du destin » de chaque année est une tradition depuis 2012. Tous les vœux des enfants hospitalisés sont exaucés et une aide matérielle est distribuée aux familles qui souffrent de précarité.

/ Pouvez-vous nous dire comment est gérée la maladie en famille  et ce que ces rêves réalisés apportent à la famille d’un enfant malade

La maladie grave atteint profondément et douloureusement l’enfant qui en souffre, mais aussi l’ensemble de sa famille. Celle-ci se retrouve précipitée dans une crise émotionnelle aiguë déclenchée par la maladie de son enfant. Le bonheur de l’enfant lors de la réalisation de son vœu redonne de l’énergie et de l’espoir à tous ses proches. Nous offrons à la famille une parenthèse enchantée pour oublier la maladie en s’évadant un peu du quotidien lugubre.

/ Bien souvent, ces temps de répit sont vécus comme salvateurs…

Des chercheurs ont écrit « qu’il était possible que les vœux aient permis à ces enfants de rêver à quelque chose qui semblait auparavant inaccessible, hors de portée, ce qui leur a donné l’impression de réaliser l’impossible ». Et si l’impossible peut devenir réalité une fois, les enfants peuvent croire à leur capacité de vivre avec la maladie ou même de la surmonter. Voilà le véritable objectif d’un vœu.

/ Quelle place occupent les rêves dans la vie des enfants et quel est leur impact ?

Les résultats ont révélé que les rêves donnent non seulement de l’espoir aux enfants, mais qu’ils améliorent également leur santé physique et émotionnelle. Ils rendent possible l’impossible et remplacent la crainte, la tristesse et l’anxiété par la confiance, la joie et l’espoir. Nous ne réalisons pas des vœux pour faire sourire les enfants le temps d’un instant. Nous réalisons des vœux pour améliorer leur état de santé à long terme.

/ Comment avez-vous vécu la crise de la Covid-19 avec votre association ? La solidarité avait-elle changée ?

La pandémie a frappé sans crier gare. L’immunité de nos enfants malades nous a obligés à nous en éloigner pour les protéger,  tout en restant attentifs à leurs besoins. L’équipe d’Omnyati a été présente pour prodiguer de l’aide et du soutien à ceux qui en avaient besoin Nous avons mené des campagnes de sensibilisation aux dangers de cette épidémie mondiale et avons exhorté les citoyens à faire preuve de solidarité.

Omnyati a redirigé tous ses efforts pour venir en aide aux hôpitaux, aux familles nécessiteuses et démunies. Les dons ont sauvé des vies humaines. Sans le don de soi et la générosité de chacun, la Tunisie n’aurait pu se relever.

/ Est-ce que cette période vous a changée ?

La pandémie a été une leçon pour l’humanité. Le monde entier a été figé et le confinement a renversé l’ordre des priorités. Cela nous a permis de prendre conscience que nous avons besoin des autres et donc de prendre soin de ceux qui nous entourent et d’être reconnaissants envers la vie.

/ Avez-vous appris des choses sur vous ou sur les autres ?

Je suis une personne qui passe du temps avec moi-même, à remettre tout le temps ses priorités en question. La pandémie ne m’a donc pas trop appris des choses sur moi-même.

Quant aux gestes stricts d’hygiène, j’ai eu la chance d’avoir une maman intransigeante sur ce sujet. Elle nous a initiés dès notre plus jeune âge à tous ces gestes qui pouvaient paraître excessifs pour les autres. La pandémie nous a confrontés avec la mort toutes les heures, tous les jours. Nous avions tendance à l’oublier la plupart du temps. Pendant cette crise sanitaire, j’ai également découvert des personnes formidables avec lesquelles j’ai consolidé des liens

/ Combien de rêves réalisés à ce jour ?

Des milliers de rêves ont été réalisés à ce jour. Certains étaient faciles, d’autres ont requis beaucoup plus d’efforts ainsi que la mise en place d’une logistique parfois complexe..

/ Ressentez-vous une émotion particulière devant un être qui voit son rêve réalisé ?

Je vis le rêve de chaque enfant comme si c’était mon propre rêve ! Je ris, je pleure, mes yeux scintillent de mille étoiles et c’est un sentiment partagé par tous les membres de l’Association.

/ Quel est le rêve le plus fou déjà réalisé ?

Une action a ému la Tunisie et le monde entier ! C’était la réalisation du rêve du petit Mahmoud qui voulait être président de la République. Cette action a été relayée par tous les médias en Tunisie et à l’étranger. C’était un rêve fou que de vouloir être président à 5 ans. Le rêve devint réalité avec Omnyati et nous n’hésitons devant aucun rêve d’un enfant malade.

/ Quel est votre meilleur souvenir ?

Le souvenir qui m’accompagnera à jamais est le jour où Khalil,  non-voyant suite à une tumeur cérébrale  a retrouvé la vue. Grâce à Omnyati, Khalil a pu subir une intervention chirurgicale à l’hôpital Necker à Paris. Le Dr Zerah, un éminent professeur en neurochirurgie nous a dit que retrouver la vue relèverait de l’impossible. Dieu en a décidé autrement !
Bien que les soins et les traitements ne rentrent pas dans le domaine d’intervention d’Omnyati, notre Association ne pouvait être indifférente envers la détresse de cet orphelin.

/ Quel est votre pire souvenir ?

Le décès de Tassnim, une fillette  âgée de 5 ans, nous a brisé le cœur. Bien que ses jours étaient comptés, nous avons tenu à la faire voler vers son rêve et rencontrer Cendrillon. Tassnim avait rencontré ce personnage fabuleux et vécu des moments féeriques à Eurodisney.

Les rares sourires ou rires de notre petit ange nous faisaient fondre le cœur. Elle s’est éteinte un mois après son retour de Paris, vêtue de sa robe de princesse. Ce fut le premier décès vécu par l’Association. C’était si cruel pour nous tous !

Le départ d’un enfant est toujours une dure épreuve pour les membres de l’Association qui s’en remettent péniblement.

/ Quel est le métier que vous n’auriez jamais pu faire ?

Les domaines où je n’aurais jamais pu exercer sont la politique et les affaires.

/ Quel serait pour vous l’homme idéal ?

Il devrait avoir des qualités positives comme l’honnêteté, la patience, le bénévolat, le sens de l’abnégation et la sincérité. Cet homme-là existe-t-il ? Difficile de répondre à la question. Nul n’est parfait en ce monde ! Ni les hommes ni les femmes d’ailleurs.

/ Votre dernier fou rire ?

J’ai des fous rires tout le temps et tous les jours.

/ La dernière fois où vous avez pleuré ?

Je pleure de bonheur comme je pleure de tristesse. J’ai pleuré à chaudes larmes tout dernièrement. J’ai eu des larmes de reconnaissance et de gratitude envers Dieu le tout puissant qui m’a épargnée.

/ Selon vous, quelle devra être la qualité première du monde au jour d’aujourd’hui ?

Les valeurs humaines telles l’honnêteté, la sincérité, avoir un bon cœur. Elles ne peuvent nullement être achetées avec de l’argent, ni produites par une machine ou par la pensée. Nous appelons cela la lumière intérieure…Je cite Dalai Lama. J’estime que le monde aujourd’hui a besoin de plus d’humanisme et d’empathie

/ Quels sont vos projets, vos rêves futurs ?

J’ai appris à vivre au jour le jour, mais j’aspire surtout  à rendre le plus grand nombre possible d’enfants heureux. Les rêves des enfants sont les miens.

/ Vous ne pensez pas écrire un jour un livre ?

Je compte réaliser un ouvrage qui consistera en un recueil de témoignages d’enfants malades dont les rêves ont été exaucés.

/ Y a- t-il une question que je n’ai pas posée ? Si oui laquelle ?

L’apport de l’équipe de l’Association Omnyati…

/ Parlez-nous alors de cette équipe…

Cette équipe  m’a accompagnée depuis toujours et continue à le faire au jour d’aujord’hui.

Des personnes formidables avec un parcours impressionnant !  Mais leur vrai accomplissement aujourd’hui, c’est cette dévotion et cet amour incroyable qu’ils ont pour les enfants d’ Omnyati. Cinq femmes et un homme. Un homme qui a dédié sa vie à la médecine afin de sauver des vies humaines. Quatre femmes qui ont hissé  haut l’Association et ont donné de leur temps, de leur énergie et de leur argent sans calcul aucun.

Notre « dream team » composée d’enfants, d’adolescents et d’adultes en Tunisie et à l’étranger  est vraiment exceptionnelle. Cette équipe est soudée et fait un travail remarqué et  remarquable.

Je voudrais également rendre hommage aux ambassadrices et ambassadeurs d’ Omnyati. Naseer Shamma, compositeur et interprète virtuose du Oud, nommé artiste de l’Unesco pour la paix, est toujours présent lors de nos dîners galas et n’hésite jamais à nous prodiguer ses conseils.

Syrine Ben Moussa, chanteuse, interprète et compositrice spécialisée dans le répertoire classique maghrébin, a enregistré l’hymne de l’Association et nous accompagne dans nos différentes manifestations.

Carlos Marsal, chef cuisinier, a été à la tête de différentes ambassades de France qui se lance régulièrement des défis  (participer à l’Artic Circle Race dans le Groenland, l’une des courses à ski les plus difficiles au monde, gravir le sommet Damavant en Iran, partir à l’assaut du pic Lénine en Asie centrale…).

Il donne à travers ces défis de la visibilité à Omnyati, parraine des enfants malades et leur rend hommage.

Pour lui, tester sa propre force mentale est une façon d’être solidaire avec eux.

Ces ambassadeurs, pour ne citer que ceux-là, portent la voix d’ Omnyati partout dans le monde et contribuent à notre visibilité et présence hors frontières. Omnyati continue  d’exister grâce à ces belles âmes.

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