Hamida Mrabet « Bourguiba a ouvert la porte, maintenez-la pour vos enfants et votre pays »
Lorsque nous avons sollicité Hamida Mrabet pour une interview, ce n’était pas aussi évident. C’est une femme si discrète et une battante qui travaille toujours dans l’ombre. Sa carrière d’avocate répondait à sa fougue de jeunesse, à sa soif de justice et suivre par la suite le chemin de la diplomatie « qui est venue avec la maturité, la sagesse… » comme elle aime le confier. Malgré son agenda chargé alors qu’elle était en mission à l’étranger, elle avait enfin accepté avec gentillesse de répondre à nos questions sans doute entre deux réunions… Entretien.
Hamida Mrabet, si vous aviez à vous définir ?
Il est difficile de se définir car on passe sa vie à tenter de se connaître et de se comprendre…cependant, je pense être une fille de Bourguiba. Une enfant de Bizerte à qui on a dit que tout était possible, que son statut de femme sera dorénavant protégée et qu’il fallait y croire, se battre et travailler dur pour le garder et qu’elle pouvait y arriver. Je ne dis pas que cela a été facile, bien au contraire, j’ai dû mener beaucoup de combats que je n’ai pas toujours gagnés, mais c’était possible. Je fais par conséquent partie de cette génération de femmes tunisiennes fortes, travailleuses, tolérantes et que rien n’arrête !
Nous avons envie de dire que votre itinéraire est celui d’une guerrière dans l’ombre, d’un avocat militant au-delà de la seule sphère professionnelle. Un avocat militant aujourd’hui, quel sens cela
peut-il avoir ?
Avoir une cause donne du sens à notre vie professionnelle. Mon combat a été celui de la femme tunisienne, je me sentais investie dans cette cause. En tant qu’avocates, nous devons mettre à profit notre maitrise de la loi et notre talent pour être les porte-voix d’une cause qui nous tient à cœur, cela donne de la valeur et du sens à notre carrière et à notre vie.
On dit de vous que vous placiez à l’époque la défense sous un horizon d’humanité. Si cela est le cas, ceci donne une toute autre dimension à l’acte de juger. Qu’en pensez-vous ?
D’abord je ne suis pas juge et je préfère souvent m’abstenir d’apporter des jugements. Je suis beaucoup trop passionnée et engagée pour avoir l’impartialité nécessaire pour un jugement juste. L’humanité est une valeur fondamentale et instinctive. Nous sommes tous profondément humain. Cependant, l’ego et l’arrogance l’emportent parfois malheureusement sur l’humanité et la tendresse.
Vous est-il arrivé de choisir une ligne de défense consistant à ne pas plaider un acquittement qui, d’une part, n’était peut-être pas à portée, mais qui était peut-être aussi impossible à assumer pour
l’accusé ?
Les choses ne se présentent jamais comme cela pour moi, car j’ai toujours agi dans le respect de l’éthique professionnelle, pour moi chaque cause doit être défendue, on ne plaide pas toujours l’acquittement mais on veille au respect de la procédure et à une application juste de la loi.
Vous avez été pendant longtemps diplomate et vous avez servi comme ambassadeur dans différentes capitales du monde. Votre formation d’avocate vous a-t-il servi ?
Fondamentalement, l’avocat représente au mieux son client. L’ambassadeur représente son pays. Ce sont des métiers qui nécessitent d’oublier ses états d’âme de côté au profit de son client / pays. Cela demande un jeu d’adresse passionnant et une certaine maitrise de la communication. Au-delà du devoir de représentation, le métier d’ambassadeur est une grande fierté. C’est porter la fierté d’être tunisienne dans les hautes sphères internationales.
Pourquoi avoir choisi une carrière d’avocate puis celle de diplomate ?
Instinctivement je vous aurai dit « et pourquoi pas ? ». Mais en fait, la carrière d’avocate répondait à ma fougue de jeunesse et ma passion pour la justice. La diplomatie est venue avec la maturité, la sagesse … il est important de rêver et de se donner les moyens de réaliser ses rêves, c’est mon principe dans la vie.
Vous avez dit un jour que l’Afrique c’est nous, c’est notre présent et notre futur. Peut-on en savoir plus ?
Je suis profondément enracinée dans ce sol africain, je me considère avant tout africaine. Il est important d’être connectée à sa terre et de savoir d’où on vient. On ne devrait même pas avoir à débattre sur la question de l’Afrique.
« Régulariser, maîtriser l’entrée des étrangers dans notre territoire relève de l’autorité nationale que nul ne peut contester, mais tenir des propos racistes envers des personnes qui proviennent d’une région en particulier et les qualifier de criminels cela relève du racisme pur et dur… ». Connaissez-vous l’auteur de cette pensée ?
Quel qu’il soit, j’adhère à cette sage pensée.
Alors tant mieux, car c’était bien vous l’auteur !
C’est pour cela que j’y adhère alors..
On dit souvent de vous que vous êtes l’avocate de la diplomatie. Qu’en pensez-vous ?
La diplomatie est l’art de gérer les relations internationales et bilatérales, être Avocate c’est gérer et résoudre des conflits. En diplomatie, il ne s’agit pas de défendre, mais plutôt de développer des relations amicales… une tâche passionnante.
Y a-t-il un événement ou une rencontre qui vous a particulièrement marquée à l’époque où vous étiez ambassadeur ?
Oui, à chaque fois que je constate l’émerveillement de mes collègues qui découvrent que la Tunisie est représentée par une femme !
Quelles personnalités ou courants de pensées ont influencé votre parcours professionnel ?
Bourguiba et SM Feue la Reine Elisabeth II.
Quel regard portiez-vous sur Londres avant d’y poser vos valises ?
Je préfère éviter de me fier aux préjugés. J’ai débarqué à Londres avec une grande curiosité de découvrir cette ville et ses habitants. J’ai eu la chance, grâce à mon métier, de pouvoir vivre au plus près des anglais, d’échanger avec eux et de me faire ma propre idée et surtout d’apprendre de leur savoir-faire.
Vous êtes francophone, arabophone et surtout anglophone où beaucoup de souvenirs se mélangent quand vous étiez ambassadeur à Londres. Une amitié s’est aussi consolidée en créant même une Association en ce sens. Est-elle toujours actuelle ?
Oh oui, certainement.
Est-ce que l’amitié et la fraternité ont-elles été pour vous un moteur pour l’action ?
Certes. Mais mon vrai moteur a été plutôt ma fougue et l’amour de la Tunisie.
Vous faites aujourd’hui partie du Conseil international des femmes entrepreneures, Cife et vous avez été décorée par sa présidente Rachida Jebnoun. Une reconnaissance bien féminine. Cela vous fait quoi ?
Beaucoup d’émotion et de respect pour la grande dame et patriote Rachida Jebnoun.
Vos meilleurs et vos pires souvenirs ?
Le meilleur moment ce sont les jours de prestations de sermon pour être avocate et pour représenter mon pays en tant qu’Ambassadrice. Le pire souvenir est la perte de mon unique frère…
Le métier que vous n’auriez jamais pu faire ?
Juge !
Quels serait l’homme idéal pour vous ?
Celui qui a du respect pour la femme !
Votre meilleure ou meilleur conseiller ?
Mon mari !
Vos artistes préférés en Tunisie et dans le monde ?
Om kalthoum et Lotfi Bouchnek
Votre dernier livre de chevet ?
« Le pouvoir de l’instant présent », de Eckhart Tollé.
Votre premier geste le matin et le dernier le soir ?
Remercier matin et soir Dieu pour m’avoir donné de si merveilleux enfants, petits-enfants et d’être en bonne santé.
La dernière fois où vous avez eu un fou rire ?
Des fous rires, j’en ai souvent…
La dernière fois où vous avez pleuré ?
Lors du décès de mon frère unique… parti subitement très tôt et très jeune…
Quel serait votre message aux femmes à l’occasion du 8 mars ?
Persévérez. Bourguiba a ouvert la porte, maintenez-la pour vos enfants et votre pays, ne jamais baisser les bras.
Entretien conduit par Nadia Ayadi
Les commentaires sont fermés.