L’avocate tunisienne qui quitte la robe pour se convertir en artiste chanteuse
Pour Dorra Jelidi, vivre dans l’harmonie grâce au chant, c’est bel et bien possible même si l’on met son métier d’avocate entre parenthèses. Tout est question d’équilibre, car quand c’est la passion et la foi qui nous guident, on ne peut qu’exceller. Respirer à pleins poumons et prendre du plaisir à assumer son rôle d’avocate convertie en chanteuse, Dorra Jelili y trouve même un moyen de révolte et la panacée pour répandre le bien autour de soi. Dorra assume pleinement cette nouvelle destinée qui fait d’elle aujourd’hui une étoile montante et un défenseur acharné des droits des artistes. Un monde où l’impossible ne peut exister, où la différence est acceptée, où il suffit juste d’être soi-même. Une vie d’artiste parsemée de plaisir et de partage, certes, mais une vie engagée et aiguillonnée par le désir de vaincre l’injustice. Entretien avec une avocate convertie!
Avant que nous abordions Dorra Jelidi la chanteuse, parlez-nous de Dorra Jelidi l’avocate. Pourquoi avoir choisi de faire des études de droit ?
C’est mon père qui a choisi pour moi à poursuivre des études en ce sens. Il me disait que c’était son plus grand rêve que de me voir avocate. J’ai tenu à réaliser le doux vœu de mon père en lui offrant ce cadeau en 2007. Quand j’ai prêté serment au barreau, il était l’homme et le papa le plus heureux et je l’étais aussi. Mon père me voyait encore toute petite, quand je ne ratais aucune occasion de prendre la parole pour défendre quelqu’un qui subissait une injustice. Je ne supportais pas qu’on bafoue les droits d’autrui. On disait de moi que j’avais le parfait profil d’une avocate… Voilà, c’est chose faite !
Vous étiez une avocate de talent, bien mariée et une aimante maman. Vous avez un jour tout claqué pour embrasser une autre carrière et devenir chanteuse. Qu’est-ce qui vous a pris ?
La décision d’épouser une nouvelle carrière n’a rien à voir avec mon divorce. J’ai avant tout accompli pleinement mon devoir envers les miens en prenant soin d’eux et en réalisant leurs rêves. Il est temps que je réalise les miens et prendre aussi soin de moi. Ma décision de devenir chanteuse a commencé quand j’ai ressenti que le chant me faisait énormément de bien. Je faisais revivre un ancien don et je réalisais que je pouvais si bien chanter, ce qui m’a encore boostée en ce sens.
J’ai été aussi encouragée par de grands professeurs de musique et maestros tels Kaïs Ben Slama, Mohamed Abid, Abdelkrim Shabou, Oussama Farhat, Mounir Ghadhab, Habib Mahnouch et Riadh El Fehri… Je me suis dit qu’il n’était jamais trop tard pour se lancer.
Avez-vous dû gérer des problèmes ou endurer une quelconque jalousie quand votre carrière d’artiste a décollé?
Pas du tout ! Tout d’abord, je ne connais pas beaucoup d’artistes. J’aime les artistes tunisiens et étrangers. J’aime les différents rythmes et couleurs des airs musicaux. Cela fait monter mon adrénaline quand j’apprends qu’un artiste connait un certain succès. Il s’agit d’une fierté pour le pays et je partage totalement ce succès avec eux.
D’où vient votre passion pour le chant ?
Elle provient du fond de mon âme. Quand je chante, mon âme danse. Je sens qu’elle s’exprime et s’apaise à travers la chanson que j’interprète. Actuellement, je vis cette passion qui ne me quitte jamais et me dicte même le chemin à prendre dans ma vie. Même si cette passion a éclaté au grand jour un peu tardivement, elle est tombée à pic, au moment où j’avais besoin d’un pareil catalyseur. C’est à ce moment précis qu’il fallait que j’emprunte le chemin de ce rêve enfoui à l’intérieur de moi-même.
Que retrouvez-vous vraiment dans le chant ?
Il y a des valeurs de liberté, de respect, de différence, de sincérité, d’amour que je retrouve … Il faut souligner que chanter n’est pas aussi facile qu’on le croit. Mais il faut avoir cette brûlante passion. Chacune de mes chansons est un minutieux circuit et une nouvelle naissance. Un travail et… un nouveau-né !
Vous ne parlez pas beaucoup d’argent, est-ce un tabou pour vous ?
Pour moi, la matière est vraiment le dernier de mes soucis. Je sens que je suis satisfaite avec le peu que j’ai. J’ai toujours été la petite gâtée de mon père. J’étais un peu comme lui, tout ce que j’avais je l’offrais. L’essentiel pour moi de rendre les autres heureux, s’ils étaient sevrés de ce dont moi, j’étais pourvue. Aujourd’hui, je suis la gâtée de Dieu. L’argent est un héritage comme tant d’autres, comme la santé, la paix, être appréciée, la tranquillité d’esprit, l’amour du travail bien fait… L’argent viendra sans aucun doute, par voie de conséquence, à travers cette dernière valeur.
Parlez-nous de vos créations musicales à succès ?
J’ai déjà à mon actif sept chansons de différents poètes et compositeurs que je remercie énormément à savoir « Fet el awen » de Habib Mahnouch et Mounir Ghadhab, « Amena alik » de Jawhar Siidi et Mokhtar Gabsi , » Ya Welda » de Belgacem Bouganna, « Chayaat galbi » de Samir Besbes et Mounir Ghadhab, « Ala fekra » de Fathel et Seif, « Naggaz Melhazra » de Hosni Kthiri et Amin Ktata.
J’ai adopté chacune de ces chansons car elles représentent la petite histoire de ma vie. Je les chante avec mes tripes. Elles décrivent, transmettent des attitudes et des émotions ressenties également par plusieurs autres personnes qui peuvent s’y identifier. Quand je parle de moi, je parle aussi des autres.
Pensez-vous que la douleur soit plus supportable en musique?
L’artiste est un peu plus que d’autres, sensible à la douleur. Il est ainsi fait. La douleur exprimée en musique devient moins pénible à supporter. Chanter représente une thérapie qui allège les douleurs.
Quels sont les compositeurs et artistes qui vous touchent le plus en Tunisie et dans le monde ?
Incontestablement Lotfi Bouchnak. J’adore aussi Najet Attia, l’auteur compositeur Abdelkrim Shabou, dernièrement Maya, Nordo et dans le monde arabe Angham, Assil Hamim et bien évidemment Warda, Om Kalthoum, Mayada.
Votre expérience d’avocate peut-elle vous servir pour défendre le droit des artistes ?
Actuellement, mon expérience me sert pour défendre mes droits et sans doute aussi, constitue un outil pour défendre le droit des artistes. Cela me cause parfois des problèmes avec certains profiteurs et quand je m’abstiens de réagir, on prend mal ma passivité. Mon passé d’avocate m’éclaire et souvent je ne peux éternellement ignorer la justice.
Quitter la robe n’a-t-il pas généré un sentiment de regret pour vous aujourd’hui ?
J’ai quitté la robe oui, mais je suis et serai toujours avocate non praticienne. Je ne regrette rien car je vis pleinement ma passion d’artiste, avec amour et un intense plaisir. Il est vrai que la nostalgie pour les études et pour ma première profession se réveillent de temps en temps mais notre profession est difficile également, la galère n’est pas toujours loin… Et mon côté calme, serein rempli d’amour préfère s’éloigner pour me rapprocher du bon Dieu.
Vous paraissez malgré votre authenticité, paradoxale ?
Oui, j’ai deux côtés dans mon caractère. Je suis ferme, rigoureuse et perfectionniste mais j’ai aussi ce côté paisible, amusant, sympa et flexible. Parfois, j’ai du mal à faire fusionner ces deux faces où je suis révoltée et passive. Je profite de cet état double pour mieux chanter en donnant le rythme de mon âme.
Chantez-vous pour le plaisir ou beaucoup plus pour un objectif de carrière ?
Sincèrement et réellement, je chante pour le plaisir. Cependant, si Dieu veut que chanter se mue en carrière et qu’il m’envoie un signe pour aller dans ce sens, je franchirai certainement le pas, petit à petit, vers ce destin artistique. Dieu est le meilleur guide qui me conduira, je l’espère vers le parachèvement de ma passion. J’ai beaucoup confiance en l’avenir.
Quel serait votre message à ceux qui ont un métier stable mais qui rêvent de changer de carrière ?
Je ne suis pas très bien placée pour donner des leçons, mais je sais que beaucoup de personnes dans leur choix de métier ou d’études ont voulu sans doute faire plaisir aux parents, à la société et au prestige, pas à eux-mêmes. Après avoir lu le Coran, je comprends mieux le monde de l’énergie. Mon message à ceux qui ont un métier qui les fait vivre confortablement sans pour autant qu’ils ne l’aiment, serait que si la bonne occasion se présente pour changer de carrière, il ne faut pas hésiter. Un revirement de cette nature procurera le vrai bonheur pour plonger dans l’amour de la passion. Les petits bourgeons apparaîtront alors dans une lumineuse et multicolore clarté et la vie fleurira davantage. Je connais un médecin malheureux qui est devenu si heureux en réalisant son rêve de boutique de pneus. Le bonheur est sans doute « dans le pré » !
Entretien conduit par Nadia Ayadi
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