Sur les rails du devoir, un homme de plume et de pierre
Il y a des hommes qui écrivent avec leurs mains autant qu’avec leur cœur. Des hommes qui bâtissent leur vie, leur maison et leurs rêves avec la même rigueur, la même patience.
Lui, journaliste fidèle à sa revue depuis toujours, s’est construit comme il a construit sa demeure : pierre après pierre, mot après mot, sans jamais renoncer. Lui, c’est Mohamed Ali Sghaier, Il est de ceux qui ne trichent pas avec la vie. Journaliste rigoureux, homme de cœur et d’engagement, il bâtit sa maison comme il construit ses articles : avec ses mains, sa volonté et sa foi dans le travail bien fait. Fidèle à Réalités depuis des années, il incarne la persévérance tranquille et la dignité du quotidien.
Fils d’un ouvrier du bâtiment, il a hérité du goût de l’effort et du travail bien fait. Ses mains portent les traces de cette double vocation — des mains calleuses qui tiennent aussi bien la truelle que le stylo.
Ses étudiants, à l’Institut de presse, s’étonnaient de voir un professeur aux mains abîmées. Ils ignoraient que ces marques racontaient une autre forme de courage : celle d’un homme qui a choisi d’habiter la dignité, même quand la vie est rude.
L’homme qui ne déraille jamais
Depuis 2008, il fait la navette entre Sousse et Tunis, chaque jour, chaque saison. À une époque où les prix de l’immobilier rendaient tout rêve de maison inaccessible, il a préféré affronter les rails, la fatigue et les retards interminables des trains.
Dans ce voyage quotidien, il a vu défiler les paysages du pays, mais aussi ses bouleversements. Le 14 janvier, en pleine révolution, il était là, fidèle au poste, dans un train presque désert, continuant d’écrire et de croire, quand d’autres renonçaient à sortir.
Sur les quais, il a aussi rencontré l’amour — celle qui partage désormais sa route et ses silences. Leurs regards se sont croisés au rythme des départs et des arrivées, et une autre histoire s’est mise à rouler.
Les trains tunisiens ont beaucoup changé depuis : plus de retards, plus de pannes, plus d’incertitudes. Et pourtant, il persiste, militant sans slogans, fidèle sans calculs. Parfois, il accrochait un journal à la fenêtre pour se protéger du soleil brûlant. D’autres fois, il affrontait les imprévus du voyage, jusqu’à ce jour où une pierre lancée de l’extérieur brisa la vitre et le blessa au visage. À l’hôpital, il fallut retirer les éclats de verre de ses yeux. Mais son regard, lui, resta intact.
Quand la plume a le goût du ciment
Entre ses mains, l’écriture demeure un acte de foi. Il a élevé quatre enfants brillants, leur transmettant le goût du savoir et de la persévérance. Il a prénommé sa fille Azza, en souvenir d’une journaliste chère à son cœur, disparue trop tôt. Fidélité ultime, hommage discret, mais infiniment éloquent. Aujourd’hui encore, il poursuit sa route — entre Sousse et Tunis, entre la maison qu’il a bâtie à Kalaa Kébira et la revue à laquelle il demeure fidèle.
Ses trajets sont devenus un symbole silencieux de la passion journalistique, celle qui ne cède ni à la lassitude ni aux difficultés. Car certains hommes ne se contentent pas d’écrire sur le monde : ils le traversent, le portent et le reconstruisent, jour après jour.

Et dans le bruit des rails comme dans le murmure de la plume, son histoire continue.
N.A