« Si t’étais là…», Mohamed Lamouri, pour toujours
Quarante jours déjà… Et pourtant, son nom flotte encore dans l’air, comme un parfum familier, une présence douce et rassurante. Ce soir-là, ils étaient venus, ils étaient tous là : son épouse, ses enfants, ses amis, ses compagnons de route, et cette petite-fille à la voix d’ange, qui fit chavirer les cœurs en murmurant « Si t’étais là » de Louane.
La salle retenait son souffle. Sur l’écran, son visage, apaisé, semblait sourire à l’enfant qui lui parlait à travers la musique.
L’hommage fut à l’image de l’homme qu’il célébrait : sobre, élégant, mais profondément humain. Un moment suspendu, où chacun semblait vouloir dire, à sa manière, combien Mohamed Lamouri a marqué les vies, les esprits, et un pan entier de l’histoire de l’hôtellerie tunisienne. Car c’est lui qui, bien avant que le luxe ne devienne un mot galvaudé, en avait saisi l’essence : la générosité, le détail, l’accueil, la chaleur humaine.

De Hammamet à Sousse, de Djerba à la mémoire des plus beaux rivages, son empreinte se lit dans les pierres et se ressent dans l’atmosphère feutrée des hôtels Hasdrubal. Ce nom, devenu synonyme de raffinement, c’est le sien. Hasdrubal, c’est son regard sur le monde, sa main ferme et inspirée, son amour du travail bien fait, son exigence de perfection, sa passion du beau. Mais au-delà du bâtisseur, il y avait l’esthète. L’homme que l’art habitait, qui voyait dans la création une respiration nécessaire à l’âme.
Plus de deux mille œuvres rassemblées au fil du temps, et une fondation — la Fondation Hasdrubal pour la Culture et les Arts Mohamed Lamouri — pour les partager, pour soutenir, encourager, éveiller. Parce qu’il croyait que la beauté est une forme de bienveillance, et qu’un pays sans art est un hôtel sans lumière.
Son fils, Raouf, prit la parole. Les mots tremblaient, comme si l’enfance revenait s’asseoir à ses côtés. Il évoqua l’hôtel Les Colombes, à Hammamet, et ce père qu’il voyait derrière la réception, sourire aux lèvres, saluant chaque client par son nom, leur tendant les clés comme on offre la bienvenue au monde.
Plus tard, lorsque Raouf Lamouri prit à son tour la direction de l’hôtel Hasdrubal, son père, fidèle à lui-même, commençait toujours sa visite par un passage à la réception. Pour saluer, pour écouter, pour remercier.
Il n’avait jamais quitté cette première ligne de l’hospitalité : là où les portes s’ouvrent, là où les visages se rencontrent.
Les témoignages se sont ensuite succédé — architectes, amis hôteliers, collaborateurs, artistes, tous venus dire leur admiration et leur affection. Tous ont parlé d’un homme de parole, d’un travailleur infatigable, d’un rêveur lucide, prêt à risquer pour créer, à créer pour élever. Tout ce qu’il touchait devenait excellence — non pas par hasard, mais parce qu’il y mettait son cœur. Puis la musique prit le relais.

Aïda Niati et ses étudiants ont fait résonner les chansons qu’il aimait entre autres, « Je sais » de Jean Gabin, « Avec le temps » de Léo Ferré, « Je ne regrette rien » de Piaf… et les airs orientaux qui parlaient à son âme méditerranéenne.
Et comme un dernier cadeau, les Petits Chanteurs de Monaco, dirigés par Pierre Debat, se sont unis aux voix des jeunes choristes tunisiens. Deux mondes, deux cultures, mais une seule émotion.
Une harmonie qui semblait dire : Merci, Monsieur Lamouri, pour avoir cru à la beauté du lien, au pouvoir du partage, à l’union par la voix et par le cœur.
Et lorsque sa petite-fille s’installa au piano, seule face à l’écran où s’affichait le grand portrait de son grand-père, il y eut ce silence… Un silence vibrant, plein de souvenirs, de gratitude, d’amour. Elle chanta « Si t’étais là » comme on allume une bougie. Et dans la salle, on jura voir son sourire, posé sur elle comme une bénédiction.
Ce soir-là, au-delà des mots, au-delà des larmes, une certitude s’imposait : Mohamed Lamouri ne nous a pas quittés.
Il demeure dans chaque regard d’accueil, dans chaque geste d’élégance, dans chaque espace où l’art et l’humain se rencontrent. Ce soir-là, plus que jamais, chacun a mesuré la trace laissée par cet homme d’exception.

Un bâtisseur d’hôtels, oui. Mais surtout, un bâtisseur d’humanité. Mohamed Lamouri, l’art d’une vie, la vie d’un art.
Nadia Ayadi