Le cri de douleur d’une sœur pour son frère enterré indignement en Allemagne
Au cœur d’un nouveau drame en Tunisie d’une émigration clandestine brisant encore une fois le rêve de plus de plus de 70 migrants noyés le 2 juin au large de Sfax, l’histoire de Manoubi finit également en drame même si ce dernier avait réussi à passer les plus durs des obstacles.
Manoubi, est un migrant tunisien. Il a été retrouvé mort dans sa chambre en Allemagne en 2018. La famille n’ayant pas vu le corps n’a pas encore fait le deuil de son enfant. Selon la police, l’autopsie a révélé qu’il était décédé d’une mort naturelle. Sa sœur ne croit pas en cette thèse et dénonce cette perte peu claire suivie d’un non respect aux sentiments accompagnée d’une indifférence totale de la part des autorités tunisiennes et allemandes.Il était sportif, jeune et joyeux affirme dans une douleur toujours vive Kalthoum Boudaya sa sœur. Il aspirait à une meilleure vie, vu les gros soucis de sa vie privée et financière. Cela devenait intenable pour lui de continuer à vivre en Tunisie. Il voulait offrir à son unique fillette un meilleur confort moral et matériel.
« J’étais très souvent en contact avec lui ainsi que ma mère continue tristement Kalthoum. J’adorais ce frère plus que tout et puis un jour j’apprends sa mort seul dans sa chambre par le beau frère de nos voisins. Ce dernier connaissant mon frère, c’est lui qui a averti la police allemande et puis nos voisins en Tunisie. Lorque j’ai appris la terrible nouvelle, je ne pouvais y croire, j’étais figée sans aucune réaction… et puis le verdict est de nouveau tombé comme un couperet. Depuis mes jours et mes nuits ne sont plus que cauchemars, hantées par mon frère parti trop tôt mort seul, enterrées dans un terrain étranger loin de nos rites, loin d’une sépulture qu’on aurait aimé bâtir et visiter ».
Les autorités allemandes contactées, n’ont pu me donner d’explications claires en me disant d’aller voir avec le ministère des affaires étrangères en Tunisie et qu’ils allaient les informer. Sitôt dit, sitôt fait. Le ministère m’appelle le lendemain et j’y accours espérant une éclaircie, une information rassurante… Mais on m’informe tout simplement les dires des autorités allemandes émises à leur ambassade en Tunisie. J’ai demandé à connaitre au moins la date du décès de mon frère, qu’un ami avait découvert et puis pourquoi avoir attendu tout ce temps pour avoir une cruelle nouvelle. On m’a alors répondu que cela n’était pas de leur ressort et qu’il fallait plutôt aller voir avec le Ministère de l’intérieur. Je me suis exécutée. Dans le rapport d’autopsie, on m’informe que mon frère a été retrouvé mort le 19 mars 2018. Il a été enterré le 23 avril 2018. Plus d’un mois sans que personne ne sache qu’il avait disparu, si ce n’est que moi qui me faisais un sang d’encre de ne plus avoir de nouvelle depuis le 1er janvier 2018 ? Le consulat nous informe qu’il n’a pas été au courant. Est-ce possible ?
Retour sur une migration mortelle…
« Vu une situation intenable en Tunisie, mon frère pris la décision de partir quelque part hors du pays pour tenter une meilleure vie qu’il pourra partager avec sa famille et surtout avec sa maman et sa petite fille. Nous nous somme tous inquiétés de cette décision et surtout ma mère… mais que pouvait-elle faire devant la volonté de son fils ? Elle voulait qu’il soit enfin heureux… Elle aimerait que tout se passe bien pour lui, Elle aimerait le protéger même de très loin. C’était notre rayon de soleil, ou plutôt un soleil en entier. Mais il était heureux d’être parti, toujours souriant, généreux de sa bonne humeur. Le 2 juin dernier, il aurait fêté ses 48 ans. Il était parti en 2013 avec l’espoir d’un homme de 40 ans à peine, à la vie pleine de promesses, une vie à construire, de toutes ses forces.
Il était tout d’abord parti en clandestin dans un périple Turquie-Grèce, Serbie, Macédoine pour terminer la course en France où il était resté deux ans pour partir et obtenir l’asile en Allemagne.
Une aventure folle où il aurait pu mourir… Il avait pu franchir tous les durs obstacles en acceptant la très très chère offre financière des passeurs… Un jour, Il s’est retrouvé bloqué dans la neige, avec ses compagnons d’infortune. Vêtu d’un jean, d’un blouson et d’une paire de tennis, il a passé la nuit immobilisé par une épaisseur de neige qui lui arrivait jusqu’au torse, soutenant son ami, Ils ont cru mourir, ont essayé de se réchauffer en faisant brûler des tee-shirts qu’ils avaient dans leur sac. Ils ont pleuré de désespoir et finalement abandonné leur destin aux montagnes et à la nuit, impuissants.
M ils ont survécu. Après avoir longuement marché aux côtés de Migrants en Turquie et en Grèce, point de départ, d’un long périple. La traversée de la mer Égée est aussi l’étape la plus dangereuse du voyage. Les naufrages y sont quotidiens et Manoubi avait sauvé des syriens et surtout une petite fille de la noyade. C’était comme s’ il avait sauvé sa propre fille Ritège restée triste en Tunisie.
Après des mois et des mois de son dangereux périple, il était ce miraculé qui a pu malgré tout devenir libre en Allemagne, une fois l’asile accordé par les autorités. Il a même pu avoir un logement et un salaire et des cours de langues durant deux années. Mon frère commença à voir sa vie se dessiner convenablement et le rêve tant caressé pour une meilleure vie commence à apparaître.
Il avait quitté le pays, en serrant fort sa maman et lui tenant la main gauche pour lui signifier qu’ils se reverraient et qu’ils se serreraient encore aussi fort.! Son rêve, quand il aura ses papiers et un travail, c’est de retourner revoir sa mère, sa fillette et sœur Kalthoum la plus sensible mais aussi la responsable. Il savait que sa maman était entre de bonnes mains avec elle.
« Je pleure continuellement, je pleure doublement car maman souffre terriblement aussi en regardant ses photos où il était bien vivant avec son éternel sourire franc et puis… la photo de son tombeau isolé dans un terrain abandonné faisant fonction de cimetière pour musulmans… Inhumé dans des conditions déplorables nous assure une connaissance en Allemagne. Il n’a pas eu des obsèques dignes ni une sépulture décente. Juste un amas de terre dans l’isolement indifférent.
Son histoire aurait pu être uniquement celle du désespoir, celle d’une vie brisée pourtant devenue en règle. Il avait à peine commencé à travailler et à avoir de l’argent .
Son dernier coup de fil était pour souhaiter une bonne année 2018 à toute la famille, il les a appelé un à un et puis il a appelé en dernier ma mère pour pouvoir rester au maximum avec elle. Durant la journée du 31 décembre, il l’avait appelé trois fois. Ma mère était aux anges de savoir qu’il s’assumait et qu’il travaillait enfin. Elle était si heureuse de lui parler en cette soirée du 31 décembre. Ils ont parlé jusqu’au petit matin du 1er janvier… il ne voulait pas raccrocher ce soir là…Il lui disait de faire attention à elle, c’est comme s’il voulait lui dire que c’était son dernier message, c’est comme si c’était un adieu. Après ce coup de fil, il n’a plus donné de nouvelles et ce, pendant des mois puis est tombé la cruelle nouvelle.
Depuis janvier 2018, la douleur de la maman et de celle de sa sœur Kalthoum est toujours aussi vive. « Aujourd’hui, je n’ai pas dit adieu à mon frère de son vivant, je voudrais être au moins devant l’amas de terre dans ce terrain anonyme pour les laissés pour compte…je voudrais aller sur place construire son tombeau et embrasser une dernière fois sa tombe que je voudrais digne, même un chien aurait eu mieux ! J’appelle les autorités des deux pays pour me faciliter la tâche d’un voyage le plus tôt possible pour que ma mère et moi fassions au moins notre deuil… »
Ironie du sort, le drame des derniers clandestins tunisiens au large de Sfax s’est passé un 2 juin, date d’anniversaire de Manoubi s’il était vivant. Il aurait eu 48 ans.
Propos recueillis par Nadia Ayadi
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