La vie africaine à Tunis: une expérience qui ne semble pas trop réussir
Le fait migratoire, est anthropologique dans la mesure où l’humanité dès ses origines s’est construite sur la migration : l’homo sapiens, ancêtre de l’humanité entière, une fois bipède, commença à migrer pour peupler le monde.
Ifriqiya en arabe : إفريقية, également orthographié Ifriqiyya, correspond aujourd’hui à la Tunisie, un portail ouvert à toutes les civilisations du monde entier… la Tunisie demeure un pays d’accueil…
Depuis la dernière décennie, le nombre de Subsahariens résidant en Tunisie a quasiment doublé. Pour des raisons économiques, politiques ou d’études, cette diaspora a choisi notre pays comme une destination privilégiée.
Nombreux migrants viennent de Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Congo et du Soudan. L’Erythrée, le Gabon, la Somalie, le Mali et le Nigeria viennent en second lieu. Leur expérience en Tunisie ne semble pas trop réussir.
Un phénomène que nous vivons, aujourd’hui et qui mérite d’être mis sous les projecteurs.
Fanta Mamady Chérif, 42 ans, de la Guinée Conakry, Consultant chaîne approvisionnement au sein du Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM), la plus grande agence humanitaire qui lutte contre la faim dans le monde en distribuant une assistance alimentaire. Il nous confie avec d’autres son vécu dans notre pays.
Il est à Tunis depuis janvier 2020, pour renforcer le travail du bureau de Tunis pour un contrat à une durée déterminée dont la durée a été prolongée suite aux mesures prises lors de la Covid-19.
Il se sent bien en Tunisie, un pays qu’il visite pour la première fois. « La Tunisie est un beau pays, un niveau de vie élevé et des gens compétents. Je trouve les Tunisiens très accueillants. ».
Il entreprend de bonnes relations avec la communauté africaine vivant en Tunisie.
Maria, 42 ans, est Ivoirienne, aide ménagère, résidente à la Mansoura, un quartier populaire de l’Ariana. Elle est venue en premier lieu il y trois ans puis sa sœur Mariem vient de la rejoindre, il y une année. Toute sles deux travaillent comme aides ménagères à 30 dinars par jour. Elles n’ont pas d’amis à part une voisine du Sénégal avec qui elles entretiennent des liens d’amitié. Elles trouvent que la vie à Tunis est trop compliquée et chère. Maria a travaillé sept mois sans toucher de salaire pour payer son billet d’avion à l’avance, de son pays natal pour rejoindre la Tunisie.
Julie, 25 ans, de la Côte d’Ivoire, travaille dans un salon de coiffure à Ennasr. Elle a appris petit à petit à faire les soins de pédicure-manucure. Elle partage le loyer avec ses amis, et essaie d’aider sa famille dans son pays natal, en lui envoyant une petite somme d’argent.
Catherine, 32 ans, aide-ménagère malienne. Francophone, résidente à « Bhar Lazreg », quartier populaire en périphérie de la Marsa, où un foyer de coronavirus a été détecté le 22 mars dernier.
Quelques jours plus tard, après la fermeture des points de restauration et des commerces, l’instauration du couvre-feu, la réduction de la fréquence des transports en commun et, enfin, l’entrée en vigueur du confinement sanitaire, elle prend enfin la mesure de la situation. Comme elle, la plupart des ressortissants subsahariens en Tunisie, vivant de petits boulots journaliers et de débrouille, ont aujourd’hui perdu leurs sources de revenus et souffrent d’un déficit d’information.
Des étrangers en grande difficulté ont besoin d’une aide financière. Nombre d’entre eux sont sans papiers et travaillent d’une manière informelle. Avec les mesures de confinement prises par les autorités tunisiennes, les Subsahariens installés en Tunisie ont perdu leurs sources de revenus. Ils sont particulièrement vulnérables face à la progression de l’épidémie.
La plupart des ressortissants subsahariens en Tunisie, vivant de petits boulots journaliers et de débrouille, ont aujourd’hui perdu leurs sources de revenus et souffrent d’un déficit d’informations. Des milliers de ressortissants subsahariens se retrouvent privés de ressources et des dizaines d’entre eux souffrent aujourd’hui de la faim.
Population d’étudiants marginalisée et difficultés de communication
Etudiants, stagiaires et jeunes ayant terminé leurs études ont choisi de rester en Tunisie malgré les problèmes rencontrés : mauvais accueil et intimidation dans certaines administrations publiques (douane, police de frontières, administration locale), difficultés et complexité des procédures pour l’obtention ou le renouvellement des cartes de séjour, ce qui met parfois les concernés dans une situation irrégulière donc particulièrement stressante. Pratiques discriminatoires et mauvais traitement qui traduisent un manque de respect et une atteinte à la dignité humaine. Grand retard dans le traitement des dossiers de séjour par les administrations concernées, ce qui engendre pour certains des pénalités liées à leur séjour irrégulier, qui peuvent s’accumuler et rendre leur situation plus compliquée. Manque d’accès à l’information administrative, soit parce qu’elle est absente, soit parce qu’elle est rédigée en langue arabe. Difficultés de communication avec l’administration qui n’a pas été formée pour accueillir des étrangers et gérer leurs dossiers. Certains immigrés font l’objet d’une exploitation financière dans le cadre de la régularisation de leur séjour en Tunisie
La solidarité de la société tunisienne
En l’absence d’une structure officielle pour l’accueil et l’assistance des migrants et des réfugiés, les organisations de la société civile tunisienne et étrangère opérant en Tunisie jouent un rôle décisif dans l’accueil, l’assistance et la protection des migrants et des réfugiés. Parmi ces organisations, nous citons : le Croissant rouge tunisien (CRT), le réseau EuroMed Rights, le Centre de Tunis pour la migration et l’asile, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), Islamic relief (IR), Médecins du monde, Médecins sans frontières (MSF), Terre d’asile Tunisie, l’Association des étudiants et des stagiaires africains en Tunisie (AESAT), Caritas, etc.
Caritas Tunisie remonte à fin des années 40. A cette époque-là elle était une section du Secours catholique de France présent dans pratiquement toutes les paroisses.
Après l’Indépendance et pour pouvoir continuer son activité, Caritas devient ‘’ Service social de la Prélature’’. Elle collabore avec les organismes tunisiens qui peu à peu s’organisent pour venir en aide aux couches sociales les plus démunies, et s’efforce de répondre aux besoins d’une grande variété de personnes marginalisées.
La société tunisienne, associations et particuliers, s’est mobilisée pour leur venir en aide. Des initiatives citoyennes, souvent relayées par les municipalités, essentiellement en banlieue de Tunis, mais également à Sousse et Monastir, ont mis en place des collectes de dons et des circuits de distribution. Une solidarité de voisinage et d’épiciers s’est également mise en place.
Une cellule solidarité africaine Covid-19 Tunisie a été créée par des représentants des étudiants et travailleurs africains. Elle dispose de relais dans chaque ville. Ses initiateurs ont salué « les efforts déployés par les autorités tunisiennes qui ne ménagent aucun effort pour apporter une aide considérable à l’ensemble des migrants subsahariens ».
Expérience non réussie
Nous avons souligné l’absence d’enquête spécifique et officielle à la migration en Tunisie. Toutefois, les données disponibles avec une méta-analyse nous ont permis d’identifier les principaux enseignements et défis relatifs au profil migratoire et d’esquisser les éléments de réponses aux questions qui se posent au sujet des conditions d’insertion des migrants dans les pays d’accueil et de leur contribution au développement de leur pays d’origine (réseaux de relations, transferts de fonds, de biens et de compétences, etc.).
Une partie des migrants en Tunisie est toujours en situation irrégulière, confronté à de nombreuses difficultés liées à la précarité de leur situation économique (chômage, travail au noir, revenus faibles, etc.) ou sociale (marginalité, discriminations, xénophobie, etc.).
Toutefois, Une étude élaborée par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) en 2019, révèle que 50% des immigrants en provenance des pays d’Afrique subsaharienne considèrent leur expérience de migration, après plusieurs années passées en Tunisie, comme “un échec”, contre 41% d’entre eux qui l’ont qualifié de “réussie”.
L’étude, menée à travers un questionnaire à l’attention d’un échantillon aléatoire représentatif de 962 migrants vivant en Tunisie, venus des pays d’Afrique subsaharienne, repose sur quatre axes majeurs : caractéristiques sociodémographiques, parcours dans le pays d’origine, l’expérience migratoire individuelle, réalité et perspectives du migrant en Tunisie.
Il démontre qu’un grand nombre de personnes tentent une expérience de migration lorsqu’elles atteignent l’âge de la maturité, alors qu’une grande partie de l’échantillon (35%) a fait l’expérience à un âge ne dépassant pas les 15 ans.
Du reste, l’étude a fait un constat mi-figue, mi-raisin. Et là les chiffres sont têtus : 65% des migrants interrogés ont opté pour la Tunisie, 75% parmi eux sont entrés de façon régulière, 23% sont des rescapés et près de 7% venus suite à de faux contrats de travail.
Toutefois, ils ont de quoi se plaindre. 37% préfèrent ne pas trop se déplacer dans les régions intérieures, par peur des rafles policières, 25% se sentent en danger, alors que 40% dénoncent un mauvais accueil de la part des Tunisiens. 61% les trouvent racistes. D’ailleurs, ils ont dit être l’objet de beaucoup d’hostilité, insultes (90%), arnaque (30%) et d’autres comportements agressifs. Il s’agit là des mauvais traitements d’ordre individuel et institutionnel (citoyens, postes de police, chauffeurs de taxi, entreprises). D’autant que leur surexploitation (85%) et le manque de respect les poussent, à chaque fois, à changer de boulot. Sans pour autant oublier la violence, le harcèlement sexuel et les faibles rémunérations qui leur sont souvent servies. N’empêche, 65% des migrants interviewés n’ont pas caché leur sentiment de sécurité.
Par ailleurs, plus de 90% parmi eux ne bénéficient ni d’une couverture sanitaire ni d’autres prestations sociales. Beaucoup ont du mal à trouver un emploi, alors que la majorité des ressortissants africains ont un niveau d‘enseignement relativement élevé. D’autres sont professionnellement qualifiés. Pourtant, ils ne sont pas trop sollicités sur le marché du travail. Toujours est-il qu’il y a, souvent, un problème d’intégration sociale. Outre le barrage de la langue arabe, les migrants font face au rejet de la société.
Somme toute, leur expérience migratoire en Tunisie n’a pas bien réussi. Et pour cause. Certains espèrent gagner l’Europe, d’autres pensent rentrer chez eux. Pour la Tunisie, il est temps de repenser sa politique de gestion migratoire.
Certes, le flux migratoire est l’occasion de l’interaction entre deux sociétés porteuses chacune d’une culture différente engendrant l’interculturalité, c’est-à-dire la rencontre de deux cultures différentes, celle de la société migrante et celle de la société accueillante. Les relations de ces deux sociétés sont nécessairement asymétriques, elles sont nécessairement hiérarchisées, fondées sur la prééminence de l’une par rapport à l’autre. De ce fait, interculturalité n’implique pas toujours intégration sociale et dans le cas où se produit l’intégration sociétale, il n’y a pas nécessairement assimilation culturelle. Les communautés migrantes peuvent être intégrées socialement mais non assimilées culturellement.
Elles peuvent être en revanche intégrées socialement et assimilées culturellement.
Une population immigrante mal recensée, mal assistée par conséquent officiellement
La Tunisie accueillait 53 000 étrangers sur son territoire en 2014, ce qui représente à peine 0,5 % de sa population. Dans la réalité, la Tunisie en accueille beaucoup plus. En effet, le système statistique tunisien ne permet pas de couvrir la réalité migratoire du pays dans la mesure où il est basé sur la déclaration lors des recensements. Ainsi, les étrangers présents dans le pays sans statut légal ne sont pas comptabilisés, alors qu’ils sont nombreux. Cette sous-déclaration et cette sous-estimation statistique donnent lieu à une non reconnaissance au niveau gouvernemental, et ne permet de gérer convenablement leur situation ni par les services publics, ni par les organisations non gouvernementales. Sans données fiables, il ne peut y avoir d’estimation des besoins ni de mise en place de programmes et de mécanismes gouvernementaux ou développés par les organisations non gouvernementales pour répondre aux besoins des migrants irréguliers en matière d’alimentation, de santé ou d’autres services sociaux comme l’éducation ou le logement.
La migration et l’asile sont les champs de compétence fondamentaux d’Organisations internationales ou intergouvernementales comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Leurs objectifs sont d’accompagner et d’aider les autorités tunisiennes à gérer les flux de migrants et de réfugiés qui arrivent en Tunisie ou transitent par son territoire. En l’absence d’une loi interne sur l’asile en Tunisie et de structures pour sa gestion. C’est l’UNHCR qui instruit les dossiers de demande d’asile et délivre les cartes de réfugiés à ceux qui résident dans le pays. Il répond aux besoins des réfugiés (hébergement, nourriture, soins médicaux, formation professionnelle, etc.) et met en œuvre des programmes visant à leur protection et à leur insertion. L’OIM intervient sur plusieurs registres liés à la migration tels que la protection des migrants, la migration et le développement (dont la création d’emplois), le dialogue politique sur les questions migratoires, les prévisions en matière d’urgence ou de crises migratoires et la lutte contre la traite des êtres humains.
Ainsi, et malgré l’apport positif de la présence des immigrés sur le sol tunisien et malgré le développement d’une politique de respect des Droits de l’Homme en Tunisie, certaines catégories d’immigrés rencontrent différents problèmes qui viennent s’ajouter à un cadre juridique et institutionnel très limité et qui nécessite une révision totale.
Samia Rebei
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