Feriel Berraies : De la douleur, ne garder que les belles images
A l’orée du moment printanier, chien et tourterelle grimpent au septième ciel. Hormis la saison des amours, unique occasion, la chambre à part calme les ardeurs des belligérants. Mais vous et moi rendons visite au royaume d’Aphrodite maintes fois chaque mois. L’association de la reproduction à la sexualité appartient à l’animalité reprise de la nature par la culture, le désir dissocié de la fonction reproductive définit l’humanité.
Feriel Berraies connue pour ses multiples actions en faveur des femmes et des enfants en Afrique, doublement primée, activiste et experte Genre en Tunisie, au Maroc, en Afrique subsaharienne et en France sa seconde patrie, n’est plus à présenter. Vous aimez lire ses billets santé dans divers médias reconnus en France et en Tunisie, sa plume est également d’auteur en criminologie ou en géopolitique.
- Repousser encore et toujours les limites
Cette femme, passionnée et hyperactive qui ne recule devant rien a décidé au mois d’août dernier, de transformer sa douleur en arme et de repousser ses limites, a accepté de nous accorder une interview exclusive sur sa dernière collaboration avec une marque de bijoux en vogue pour laquelle elle a donné son image magnifiée par le travail d’Aymen Bachrouch, un artiste à l’univers bien particulier.
Nous avons aussi profité pour lui poser des questions sur sa nouvelle vie et ses projets à venir, mais aussi des conseils pour survivre à cette période hyper anxiogène sur fond de crise sanitaire.
- Comment vivez-vous cette période qui précarise beaucoup les femmes du Nord au Sud ?
La Covid-19 a ébranlé toutes nos certitudes, nos acquis, la vitesse avec laquelle le virus s’est propagé et sa virulence, continueront de nous hanter encore et encore. Le plus terrible, c’est que beaucoup de familles n’ont pas eu le temps de faire le deuil, pas même le temps de dire au revoir ou de voir la dépouille d’un parent. J’ai vécu cela avec le papa de mes enfants dans la solitude la plus absolue, mes parents coincés en Tunisie. Tant de défis, de fatalité ont fait qu’il a fallu que je puise en moi une force surhumaine dont je ne doutais pas que j’en étais capable.
- Le trauma était double?
Oui absolument, dans beaucoup de situations, le trauma est quand il survient et qu’il est consécutif à la soudaineté de la disparition. Oui la disparition physique est importante ? Cependant « on est jamais prêt ou préparé à dire au revoir », quand c’est bref et rapide et que l’on ne voyait pas la chose venir. Mais dans mon cas la finitude dans la souffrance, le fait que cela était inexorable, était encore plus douloureux à vivre.
La cause autant que le scénario, les circonstances de la mort ont nourri mon trauma, je pense que mes enfants et moi resterons profondément marqués. Il faudra du temps et de l’accompagnement pour arriver à faire ce deuil « naturellement » tant nous étions choqués par ces circonstances.
- Pensez-vous que la maladie est injuste ?
Quand une mort est consécutive à une maladie et que dans le conscient, on est plus ou moins préparé, l’hypnose tout comme d’autres thérapies brèves comme la sophrologie, peuvent accompagner en atténuant les souvenirs dégradés, on peut se dire que l’on pourra s’en sortir.
- Comment l’adolescence vit-elle le néant?
Je pense qu’il y a beaucoup de déni et une jeunesse qui fait que les adolescents se voilent la face nous les adultes, accusons le coup systématiquement. Si accompagnement il y a, il faudra forcément que le travail soit centré sur le positif d’une circonstance douloureuse, pour ne garder que les belles images.
- Quelles sont les différentes étapes d’un deuil ?
Elisabeth Kubler Ross, psychiatre et psychologue, décrivait sept étapes nécessaires au travail de deuil : Le choc, le déni, la colère, la tristesse, la résignation, l’acceptation et la reconstruction. Le deuil peut devenir complexe voire même devenir un pathos si l’une de ces étapes ne s’est pas déroulée correctement. Le fait de ne pouvoir dire au revoir, d’avoir vécu le drame seuls sans mes parents, avec un isolement incroyable avant pendant et après son départ (heureusement j’avais mes amis), a accentué la douleur. Mourir en plein milieu d’une pandémie mondiale c’est terrible. Nous-mêmes la famille directe, devenions pestiférés car on savait dans notre entourage qu’il avait fini aussi par contracter la Covid-19. Mais c’est le cancer qui l’a tué entendons nous bien!
- Quels sont les dangers du deuil pathologique ?
Un deuil pathologique non traité engendrera toute une panoplie de conséquences psychosociales non négligeables: allant de l’anxiété à la dépression. Ses expressions extrêmes seront les phobies, les crises de panique, les troubles du comportement alimentaire, les pensées morbides et suicidaires…
- Comment casser les blocages du deuil?
Il faut faire le nettoyage des regrets, sentiments de frustrations, culpabilité, déni, non-dits, autant de facteurs psychologiques et émotionnels pour la personne qui les subit et qui est face à un tsunami :
« Je n’ai pas profité de lui, je n’ai pas pu lui dire au revoir, ce n’est pas juste, pas comme ça et pas aussi tôt»! Ou encore « je n’ai pas pu lui dire combien je l’aime, je lui ai pas demandé pardon » etc. Et la liste est longue. Tous ces éléments bloquent le processus du deuil qui ne peut plus faire son chemin naturellement.
- Un avant et un après Covid-19 ?
Un accompagnement psychologique permet d’aider au coping si vous perdez quelqu’un du coronavirus ou d’autre chose. Pour surmonter les traumatismes, le regard des autres aidera aussi les endeuillés à s’en remettre, à condition de ne pas les plaindre et de ne pas les réduire à ce qu’ils vivent.
- La thérapie comportementale permettra-t-elle de construire cet épisode manqué de votre deuil?
Elle est là pour proposer de reconstruire « ce chapitre ou épisode manqué » permettant un espace d’expression thérapeutique dans lequel le processus de deuil est relancé, pour que cette fois-ci, chaque étape se déroule dans son intégralité.
En tant que thérapeute, quand je remets ma casquette, je vais vous accompagner au travers de votre deuil, pour faire votre deuil convenablement, à votre rythme pour aider à amoindrir les symptômes, voire, les faire disparaître.
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