El Teatro : Jean Luc Garcia met en scène Iza Lou

Il a cet air attachant et souriant d’un Serge Lama atypique dans la comédie et la mise en scène. Il a l’esprit vif, philosophe et sait de quoi il parle devant ses élèves continuellement admiratifs. Lui, c’est Jean Luc Garcia qui reprend avec passion la pièce «Hend, le prince de Djerdjer » d’ Iza Lou. Un auteur francophone né en Algérie, auteur de plusieurs ouvrages ainsi que d’une pièce de théâtre publiée sous le nom d’Iza Lou. L’auteur est  également directeur de la collection, chez l’Harmattant «Terrain : récits et fictions »   à travers laquelle il a pour objectif de faire émerger une littérature puisant ses ressources dans l’imaginaire collectif, quelle que soit sa géographie et sa temporalité. « Hend, le prince de Djerdier », narre l’histoire du Roi de Koukou, de Djerdjer.  Un imaginaire sur les fragments de l’histoire et le destin d’un Prince venu de Tunis venger son père assassiné. L’histoire est convertie en pièce en quatre actes et treize tableaux. Elle sera mise en scène pour la première fois à El Teatro et réunira une pléiade d’acteurs tunisiens et français les 3, 4 et 5 février 2022. Pour en savoir plus, Jean Luc Garcia, le metteur en scène nous a accordé en exclusivité un entretien.

Hend, le prince de Djerdjer marque vos retrouvailles avec Iza Lou. Quelle est l’origine de cette  collaboration ?

Ce ne sont pas des retrouvailles. Nous ne nous connaissions pas. Myriam Riza une comédienne, qui connaissait l’auteur et qui avait vu certaines de mes créations antérieures, a eu envie de nous réunir. De là est venu l’idée du projet de monter sa pièce.

Vous avez tout de suite accepté ?

J’avais moi aussi l’envie de partir sur quelque chose de neuf qui me permettrait de motiver certains comédiens avec qui j’avais envie de travailler ou de retravailler. Sofiane l’auteur et moi, nous nous sommes parlé au téléphone et j’ai tout de suite senti que notre collaboration serait une belle aventure. D’autant plus que Sofiane m’a tout de suite donné carte blanche pour mes choix de mise en scène, même lorsque ceux-ci pouvaient plus ou moins s’écarter du sens qu’il voulait donner à la pièce.

Qu’est-ce qui vous a intéressé le plus dans le texte de l’histoire  est-ce  l’aspect mythique, anthropologique ou un peu réel ?

D’abord, cette pièce pose des questions sur la berbérité Un sujet qui m’a interpelé depuis que je vis en Tunisie. Ayant vécu auparavant au Koweït, j’étais en contact avec un monde arabe très différent. La question berbère semble toujours quelque part pour expliquer pourquoi il ne s’agit absolument pas de la même arabité jamais évoquée de façon claire. C’est ça qu’explore la pièce. Mais bien entendu, il s’agit aussi d’une fiction qui pose la question du pouvoir et nous sommes là en plein dans une métaphore de la situation politique de la Tunisie ces dernières années à laquelle je ne pouvais être insensible.

Traiter visuellement les personnages, est-ce un pari pour?

C’est toujours un pari. La mise en scène est évidemment toujours aussi une mise en image pas seulement des personnages, mais aussi de la situation dramatique en général.

C’est la première fois que vous mettez en scène un spectacle joué à Tunis ?

Je  suis déjà installé à Tunis et je travaille dans le cadre du Teatro studio qui est un atelier de formation de comédiens créé par le couple Zeineb Farhat, malheureusement disparue, et Taoufik Djeballi. J’en suis à mon septième spectacle avec eux, plus au moins autant dans le cadre de mon métier d’enseignant de lettres modernes et de théâtre au lycée Pierre Mendès-France. C’est notamment la convention que ce lycée a avec El Teatro qui me permet de m’exprimer en tant que metteur-en-scène.

On dit que la musique est importante  dans votre travail, comment l’avez-vous imaginé cette fois-ci ?

La pièce est divisée en Trois temps forts.  La musique arabe domine le premier moment, la musique berbère le second et une musique plus internationale pour le troisième. Nous avons un saxophoniste sur scène pour des moments de mise en abyme. Je ne voudrais pas en dire plus car je spolierais l’une des originalités de l’écriture scénographique.

Trouvez-vous que lécriture de l’auteur est un peu baroque car elle est pleine d’images habitées par la tragédie constante ou bien un texte initiatique riche en symboles ?

L’écriture est très étonnante. Oui, un peu baroque, et vers la fin tendant vers le tragique mais c’est aussi une poésie très spécifique que j’ai voulu servir ici. En effet, l’écriture dramatique est souvent à la limite des conventions de l’écriture théâtrale. On est entre du théâtre de la narration et de la prose poétique. C’est ce qui m’a plu d’emblée. J’ai alors décidé de me servir de ce qui au départ apparaissait plutôt comme une contrainte forte pour en faire je l’espère,  un des atouts forts de ce spectacle.

Il y a une dimension psychanalytique  importante dans l’histoire. C’est comme si on était  dans la plus pure mythologie… qu’en pensez-vous ?

Oui c’est entrelacé comme dans un rêve. C’est aussi pour cela que j’espère avoir pu rendre la dimension onirique du texte. Mais en même temps, le parallèle politique. Un pont qui nous ancre dans le réel.

Comment a été le jeu d’acteurs ?

L’équipe de comédiens est formidable  dans le jeu bien sûr, mais aussi en dehors. Beaucoup de cohésion et de solidarité. Ils ont travaillé comme des fous.  Ils ont tous un énorme talent et beaucoup de professionnalisme, le cocktail est détonant ! Le plus étonnant c’est que le mélange entre le statut professionnel de certains et d’autres qui sont des amateurs, n’a posé aucun problème. Tous se sont portés pour atteindre le meilleur. Après bien entendu, le public jugera.

Vous avez déjà mis en scène plusieurs pièces notamment du répertoire classique. Aujourd’hui vous mettez en scène  Hend, le prince de Djerjer. Ya-t-il eu une différence ?

Non parce que Garcia Lorca, Molière, Camus, Alègre, Moawad, Iza Lou, ou d’autres, ce qui compte pour moi est toujours de mettre l’accent sur le lien entre la dimension philosophique de la pièce, les questions qu’elle pose sur notre condition humaine et comment ces questions ont un écho dans l’actualité. L’idée est toujours de rechercher une dimension universelle. On n’y arrive pas toujours forcément à cent pour cent, mais c’est l’essence même de mon travail. Par conséquent pour moi, il n’y a aucune différence. Seul le projet de mise-en-scène  compte.

Y’a-t-il une question que je n’ai pas posée et que vous auriez aimé que je pose ?

J’aurais posé la question de l’importance du metteur-en-scène dans cette création collective que constitue une pièce de théâtre.

Quelle est cette importance ?

Le metteur-en-scène n’est qu’un relayeur qui ne fait que transmettre une lecture à des comédiens, à son assistant en l’occurrence Sihem Koutini  qui vont eux même apporter leur pierre à l’édifice dont l’auteur est l’origine. Tout cela n’est possible que parce que des gens ont cru en la magie de la création théâtrale. Je voudrais remercier particulièrement tous les membres de cette magnifique famille qu’est El Teatro qui permet à d’immenses comédiens, d’immenses créateurs de s’exprimer et sans qui mon modeste travail ne pourrait jamais voir le jour. J’ai une pensée pour Zeineb Farhat,  Taoufik Djeballi, leur fille Sourour qui s’est donné corps et âme, les régisseurs, Walid et Zidane si indispensables et j’en oublie tellement. Je voudrais aussi remercier tous ces gens qui viennent au théâtre car c’est leur amour qui le fait vivre. C’est tout cela qui est important. Ce grand élan d’amour collectif dont nous avons tous tellement besoin dans le trouble qui caractérise notre époque.

Entretien conduit par Nadia Ayadi

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