Néjia Gharbi, Directrice générale de la CDC : “ A la Commission de Surveillance de la CDC, sept membres sur onze sont des femmes”

Derrière son doux visage, sa beauté calme et son sourire rassurant, Néjia Gharbi est une femme délicate, attentionnée et modeste malgré un CV en béton ! Diplômée de l’ENA, elle a commencé sa carrière au Contrôle général des services publics, avant d’être nommée au poste de responsable administratif et financier du projet Valorisation du patrimoine culturel. Elle a été ensuite désignée comme Contrôleur d’Etat du secteur Phosphate et Engrais, remplissant subséquemment la tâche de Secrétaire général au sein de Tunisair pour être investie dans la foulée du rôle de chargée de mission au cabinet du Chef du gouvernement et de Directeur général de l’Unité d’encadrement des investisseurs. Elle a cumulé avec ses fonctions, la présidence du conseil d’administration de la STB et de la BNA et aujourd’hui elle est à la tête de la Caisse des Dépôts et Consignations.

La CDC est considérée comme un investisseur public et le bras financier de l’Etat. La Caisse dispose en effet, de très importantes ressources et d’un budget que peu d’investisseurs possèdent en Tunisie.

Quel est l’état des lieux de la Caisse des Dépôts et Consignations aujourd’hui ?
Créée depuis 2011, la CDC est devenue un acteur clé dans le développement économique du pays. Investisseur public appuyant les politiques de l’Etat, la Caisse a pour vocation d’investir dans les domaines économiques à caractère stratégique tels que l’infrastructure, le développement régional, les nouvelles technologies, l’environnement, le développement durable, ainsi que le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux startups, considérées comme les moteurs de l’économie tunisienne.

Quel a été le programme de financement de la CDC ?
Avec plus de 26 fonds, dont 21 locaux et 5 internationaux, et un total bilan de 10 592 MTND, la CDC a clôturé l’année 2022 avec un résultat bénéficiaire de 119 MTND. Elle s’est affirmée comme un acteur majeur dans le financement des PME et des startups, jouant un rôle crucial dans l’économie et dans le financement de l’investissement en Tunisie.
La CDC a lancé plusieurs programmes dédiés au financement des PME et des startups. Parmi ces programmes, on peut citer le projet « Startups et PME innovantes », financé par la Banque mondiale, visant à stimuler la création et le développement des startups et PME innovantes en Tunisie, structuré autour du fonds de fonds Anava, du fonds InnovaTech dédié aux PME innovantes et du programme Flywheel mis en place pour appuyer  l’écosystème et faciliter ainsi l’accès au financement pour les startups.
La Caisse a également lancé avec l’AFD des programmes de soutien des initiatives entrepreneuriales, à savoir EnLien dédié à l’accompagnement des jeunes et Fast consacré à l’accompagnement et l’accélération des startups et des TPE dirigées par des femmes, ainsi que des fonds d’urgence pour les entreprises impactées par la crise de la Covid-19. Ces initiatives témoignent de l’engagement de la CDC à soutenir l’économie tunisienne et à promouvoir le développement durable.

Dans un monde et un environnement dominés par la gent masculine, quelle place la femme occupe-t-elle ?
La question de la place des femmes dans des milieux traditionnellement dominés par les hommes, tels que la finance, est un sujet important à aborder. Historiquement, le secteur financier a en effet été largement masculinisé, avec une représentation limitée des femmes aux postes de direction et de décision.
Cependant, au fil des années, il y a eu un changement perceptible. En effet, nous constatons une augmentation significative du nombre de femmes occupant des postes de leadership et de haute direction dans le secteur financier et une présence plus ressentie au niveau des Conseils d’administration.
En effet, de nombreuses entreprises ont pris des engagements pour promouvoir le genre et l’égalité des chances, ce qui a conduit à une augmentation de la représentation des femmes dans des postes de direction. Ainsi, les entreprises réalisent de plus en plus que la diversité de genre apporte des perspectives différentes et enrichit la prise de décision. Elles reconnaissent désormais l’importance de créer des cultures d’entreprise inclusives qui favorisent l’avancement professionnel des femmes.

La politique de genre est-elle appliquée à la CDC ?
Nous avons formalisé depuis 2020 notre politique Genre qui énonce notre intention de soutenir l’égalité de genre et d’en faire un objectif transversal pour toutes nos activités d’investissement. Ainsi, la parité est-elle presque parfaite au niveau des équipes et à celui des postes de direction. De même, au niveau de la commission de surveillance de la Caisse qui est la plus haute instance décisionnelle, 7 membres sur 11 sont des femmes.

Vous avez déclaré un jour que la CDC intervient surtout au moment des crises. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La spécificité d’une caisse de dépôt est son intervention contracyclique. En effet, la CDC a pour rôle de booster les investissements dans les secteurs présentant une baisse de développement ou en cas de crise. D’ailleurs, lors de la crise de la Covid, la CDC a entrepris la structuration de plusieurs initiatives d’investissement qui sont tout aussi complémentaires et couvrant un large spectre de cibles. On cite le fonds Relais d’une taille de 100 MTND, offrant une solution de sortie aux autres fonds ou aux Sicars (cash out) et qui peut être également une opportunité de développement aux PMEs (cash in).
Il y a également le fonds Impact qui offre des tickets d’investissement allant de 0,1 MTND à 1 MTND avec des cibles d’impact socio-économiques prédéterminées, outre le ciblage du rendement. En partenariat avec la Banque mondiale, ce fonds apportera sa contribution avec un compartiment dédié au projet du Corridor économique Kasserine – Sidi Bouzid – Sfax. De plus, on cite l’initiative Aspire destinée à la souscription à des fonds de restructuration offrant des tickets d’investissement allant de 1 à 5 MTND et la ligne de souscription aux fonds de restructuration financée en grande partie par le crédit Fades.


Dans le cadre d’un partenariat win-win entre le privé et le public, d’une mutation du modèle d’intervention de l’Etat et du modèle d’investissement, la CDC est incontournable. Quels sont les outils de son intervention ?

Le partenariat public-privé est un mécanisme très important pour la Caisse. En effet, on s’est assigné l’objectif de se positionner en tant que catalyseur pour libérer les projets d’infrastructure socio-économiquement impactants, notamment par voie de PPP. Nous sommes partenaires de plusieurs projets à participation mixte, notamment les technopoles dans le cadre de PPP institutionnels.
Aussi, depuis 2018, un protocole d’accord entre la CDC et l’Instance générale des partenariats public-privé (IGPPP) a été signé pour instaurer un partenariat stratégique entre les deux institutions dont l’objectif est de travailler conjointement sur la mise en œuvre du projet de soutien à la préparation des projets PPP. Il met en place ainsi un cadre d’appui aux institutions et organismes publics pour la préparation des projets d’infrastructures susceptibles d’attirer les ressources financières publiques et privées.
La CDC contribuera au fonds d’appui au partenariat public-privé, géré par l’IGPPP avec une allocation initiale de 5 millions de dinars. Ce fonds favorisera le développement de nombreux projets, offrant des opportunités d’investissement clés à la CDC.

La notion de risque fait partie de votre métier. Quels sont les différents aléas rencontrés ?  Prenez-vous des risques calculés ?
La gestion des risques, particulièrement celui de non-conformité, est essentielle à notre métier à la CDC. Nous honorons l’éthique professionnelle, respectons les réglementations, prévenons les conflits d’intérêts, appliquons les dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent et sensibilisons nos collaborateurs à ces pratiques de bonne gouvernance. La conformité, définie par une charte interne, joue un rôle crucial en assistant, conseillant et coordonnant des plans de contrôle pour éviter les risques de non-conformité et maintenir notre réputation. Aussi, la gestion des ressources mises à la disposition de la CDC, de par leur nature, obéissent à des règles de gestion prudentielle prévue par les textes régissant notre activité.

Réalisations et objectifs, l’adéquation est-elle au rendez-vous ?
L’alignement entre les réalisations et les objectifs de la CDC se dessine de manière remarquable. Depuis sa création en 2011, la CDC a connu une transformation significative, émergeant comme un pilier du développement économique en Tunisie. Ses investissements stratégiques dans des domaines clés, tels que l’infrastructure, le développement régional, les nouvelles technologies et le soutien aux PME et startups, ont considérablement renforcé sa contribution à l’économie nationale. Les résultats financiers positifs de l’année 2022, caractérisés par un bénéfice de 119 MTND, reflètent de manière tangible son impact positif sur le tissu économique du pays. Cette adéquation entre ambitions et réalisations souligne l’efficacité de la CDC dans la concrétisation de ses objectifs stratégiques.

Vu les charges professionnelles au sein de la CDC et celles au coeur de la famille, quelles sont les incidences des unes sur les autres ?
Il est important de trouver un équilibre entre les deux pour maintenir une qualité de vie satisfaisante. La mise en place de politiques de conciliation travail-vie personnelle peut aider à atténuer ces incidences et favoriser un environnement professionnel propice.

Vous comptez aussi parmi les piliers du Conseil international des femmes entrepreneures (Cife). Quel regard portez-vous sur cette unité bien féminine qui est en train de bouger tous azimuts ?
Mon engagement dans l’entrepreneuriat féminin est consolidé par mon adhésion au Conseil international des femmes entrepreneures (CIFE), à travers lequel je porte un regard positif sur cette unité féminine dynamique qui agit dans plusieurs directions.
Le CIFE joue un rôle essentiel en encourageant et accompagnant l’entrepreneuriat féminin et en favorisant l’autonomisation des femmes dans le monde des affaires, notamment dans les régions. Son impact positif contribue à briser les stéréotypes de genre et à promouvoir l’égalité des chances.

L’accès au crédit reste un défi pour les jeunes et les femmes. Quelle est votre approche face à ce constat ?
L’accès au financement demeure un défi pour les jeunes et les femmes. Pour relever ce défi, une approche axée sur la promotion d’initiatives ciblées, incluant des programmes spécifiques et des partenariats avec des acteurs du Private Equity, est essentielle. Sensibiliser les jeunes et les femmes aux différentes options de financement, y compris le Private Equity, joue également un rôle clé pour encourager l’exploration des opportunités de financement.
La CDC a répondu au défi persistant d’accès au crédit en lançant JoussourINVEST, une plateforme de Private Equity visant à faciliter le financement pour les jeunes entrepreneurs et les femmes, renforçant ainsi son engagement en faveur de l’inclusion financière. En outre, la Caisse adopte une approche proactive pour surmonter le défi de l’accès au financement pour les jeunes et les femmes. À travers des initiatives telles que le projet Fast (Femmes et accélération pour les startups et TPE), axé sur le renforcement de l’écosystème entrepreneurial en Tunisie via le financement des programmes d’accompagnement et d’accélération des femmes dans les régions, la CDC s’engage à lever les obstacles rencontrés par les femmes dans l’accès au financement.

Un conseil à donner à une entreprise qui envisage d’ouvrir son capital dans les prochains mois ?

Il est crucial de bien préparer cette démarche d’ouverture du capital. Mon conseil serait de réaliser une analyse approfondie de la situation financière, d’identifier les objectifs clairs de cette action et de s’entourer de conseillers financiers compétents.
La transparence et la communication efficace avec les investisseurs potentiels sont également des éléments de réussite de cette opération et le chemin vers l’étape d’ouverture du capital au marché financier.

Vos longs itinéraires professionnels ont certainement été jalonnés de beaucoup de réussite mais aussi de quelques déceptions. Pourriez-vous nous en parler ?
Chacun de nous est confronté à des défis et des réussites qui s’enchaînent tout au long de sa carrière. Les moments difficiles sont souvent des opportunités d’apprentissage. Ces expériences aident à développer la résilience et la persévérance nécessaires pour avancer dans la carrière professionnelle.

Quelles sont vos majeures futures actions?
Nos principales futures actions seront axées sur le renforcement des initiatives de la CDC pour soutenir le développement économique durable de la Tunisie. Cela impliquera la poursuite de partenariats publics-privés, le soutien aux PME et aux startups, la promotion de l’égalité des genres et le développement des mécanismes de financement. De plus, nous avons l’intention de jouer un rôle significatif dans la promotion des financements durables à l’instar des Green Bonds, contribuant ainsi activement à la transition vers une économie plus durable et respectueuse de l’environnement. J’aspire à consolider davantage la position de la CDC en tant qu’acteur clé dans la croissance économique durable du pays.

Quels sont vos rêves aujourd’hui ?
Mon rêve ultime est de laisser un impact positif et durable de nos actions sur l’économie tunisienne.

 Entretien conduit par Nadia Ayadi

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