Par un simple coup de fil, une dame émue sauve une jeune fille d’un cancer

Il faisait chaud en cette journée du 20 octobre dernier. Avec des amies, nous avons eu l’idée d’aller visiter le village de l’artisanat de Denden. La porte d’une boutique particulière et attirante était ouverte, faisant entrer un air frais. Dans le vaste patio verdoyant, les feuilles vertes et jaunes dansaient annonçant l’aube de l’hiver sur un fond de ciel azur sans nuage.

Dans cette boutique, une femme était assise derrière une table de travail qui faisait aussi bureau. Son regard était « fixé sur un collier en argent et sur l’outil de son travail artisanal. Elle ne prêta aucune attention au monde extérieur mais s’appliquait à parfaire le travail demandé par le propriétaire des lieux. Nous entrons dans l’espace riche en créations artisanales. Elle nous dévisage sous son foulard où une mèche encadrait un côté de son visage. Son regard était triste, des cernes enflés sous les yeux, des joues bouffies et un front marqué. Mais c’est surtout la tristesse qui émanait d’elle qui m’avait frappée comme si elle l’enveloppait tout entière.
Sa large robe noire presque sans forme découvrait des bras forts qui laissent deviner qu’elle avait beaucoup travaillé. Elle semblait enveloppée par une sorte d’usure prématurée. Sûrement est-ce la tristesse de son âme qui se reflétait aussi spectaculairement sur son visage.

Elle m’observe pendant que je regardais les différents merveilleux bijoux, La tristesse de l’instant précédent semble s’être enfuie. Elle sourit presque devant mon admiration malgré de petits soubresauts. A-t-elle froid? Sa physionomie change de nouveau pour replonger dans une peine plus remarquable. Ces temps-ci sont doute des temps d’incertitude, de doute, d’inquiétude généralisés. Peut-être ai-je vu chez cette femme simplement l’expression de la crise actuelle dans le pays. Je demande le prix d’un bijou. Elle me le donne gentiment. Le prix est très raisonnable sans qu’elle n’insiste vraiment pour que j’achète. Ses phrases étaient comme rythmées par des soupirs douloureux. C’est alors que je me suis permise de demander si tout allait bien pour elle. Elle remarqua mon regard insistant et confia son histoire que je partage avec vous.

Elle n’avait jamais habité la capitale. Elle se trouvait dans cette boutique par pur hasard n’ayant aucune qualification dans le domaine. Elle est native d’un village du nord d’une famille modeste. Elle se maria très jeune mais s’avéra être une bonne mère. Sa vie gravitait autour^de ses enfant et d’un époux qui travaillait en tant que boucher. Leur vie était simple, calme et descente jusqu’au jour où le père tomba malade et perdit la vue. La descente aux enfers commença pour la maman qui se nommait Dalila. Elle fut obligée de prendre la relève dans une débrouillardise militante pour continuer à vivre malgré tout. C’était une bonne cuisinière et habituée à faire elle-même le pain quotidien de la maison. Elle eut l’idée d’en faire son gagne pain. Tous les soirs et avant d’aller se coucher elle pétrit la pâte pour se lever à l’aube et faire des petits pains. Elle sort durant la matinée pour revenir avec quelques sous. Il y en avait juste assez pour nourrir la famille très modestement.

Mais le pain ne se vendait pas comme prévu car dans le petit village, ce n’était pas un produit rare. La famille commença à ressentir le manque et la pauvreté. Elle décida alors de venir dans la capitale pour vendre son pain. Tous les jours elle venait dans le village artisanal de Denden pour vendre son produit. Le soir, elle rentrait chez elle fatiguée mais contente d’avoir vendu tout son pain même si la fatigue gagna son corps et son esprit. Un matin, le propriétaire d’une boutique du village remarqua cette femme battante. Il l’appela pour acheter quelques pains en apprenant qu’elle venait de loin pour gagner dignement sa vie. C’est alors qu’il lui demanda si elle voulait habiter la capitale pour éviter tous ces va et vient en travaillant carrément dans sa boutique. Cette femme lui paraissait si honnête. Elle répondit qu’elle n’avait jamais travaillé à part vendre du pain. « Je suis analphabète ».
Tout s’apprend lui dit-il, il suffit d’accepter, le reste je m’en occupe. ».La proposition fut discutée favorablement en famille. Ibtihal la fille aînée avait 23 ans, et était si heureuse de pouvoir vivre dans la capitale. Dalila était aussi heureuse de voir sa fille sourire autant à la vie. C’était la prunelle de ses yeux et sa confidente bien aimée.

Dalila et sa famille s’installèrent en ville et commença sa nouvelle vie dans la boutique à bijoux. Le temps passait et elle s’avéra être professionnelle jusqu’au bout. En deux mois seulement, elle devint experte dans la fabrication de bijoux. Même si elle était très moyennement payée, elle accepta son nouveau destin. Son maigre salaire était totalement consacré pour les soins coûteux de son mari qui ne pouvait plus travailler. Sa fille Ibtihel a pu malgré tout accéder à l’université. Elle voyait sa mère trimer pour tous et n’osait même pas lui demander quoi que ce soit. Déjà l’an dernier, elle avait subi une opération à l’hôpital. Sa maman avait vendu des centaines et des centaines de pain pour remédier au traitement.

Une année après, Ibtihal sentit d’étranges sensations de lourdeur sur le côté de son corps. Elle se traîna seule jusqu’à la pharmacie. Elle se dit qu’avec quelques cachets, ça devrait passer. Elle passa le week-end avec sa maman inquiète à avaler des cachets anti-douleurs, mais celles ci ne cessaient de s’accroître. A l’hôpital, un infirmier lui dit que ce n’était rien que cela devait être une occlusion intestinale. Elle continua à supporter cette souffrance continue. Depuis quelque temps déjà, c’était la nausée. Que lui arrive-t-il pensa sa mère qui commençait à avoir un sang d’encre en remarquant que la grosseur opérée l’an dernier apparaissait de plus belle ? Le lendemain, elle prit le premier bus avec sa fille pour aller à l’hôpital. Il leur a fallu attendre toute une journée pour qu’on lui dise que ce n’était rien.

Puisqu’il n’y avait rien à faire pour faire disparaître la douleur, Ibtihal emprunta de l’argent chez des amies juste pour consulter un médecin. Celui ci lui recommanda d’importants examens : prise de sang, radio, électrocardiogramme et scanner. Mais l’attente est très longue à l’hôpital. Il faut attendre des semaines avant les rendez-vous. Son état de santé s’aggravait. Sa mère décida d’aller dans le privée pour faire au moins le scanner. Quand elle sut sur place le prix, elle eut presque un malaise. elle n’avait même pas douze dinars dans son sac et il fallait payer 600 dinars. Elle rebroussa chemin perdue dans ses pensées. Elle allait perdre Ibtihal sa fille adorée. Le prix d’un examen scanner coûte 600 dinars à part ce qui va s’en suivre. Dalila ne connut pas le sommeil cette nuit là. Elle s’empressa d’aller travailler le cœur lourd. Elle s’était déjà absentée la veille. Il faudrait qu’elle travaille encore des mois sans se nourrir pour pouvoir amasser la somme.

Elle-même oublia son traitement d’hypertendue. Elle était prête à tous les sacrifices. En attendant le temps pressait. Elle regardait sa fille qu’elle trouvait si belle et ressortait vite car ses yeux se remplissaient de larmes. Dehors, elle implorait impuissante Dieu pour qu’il lui vienne en aide. « Dieu clément, ne me laissez pas tomber… je ne veux pas que ma fille meure…je n’ai personne d’autres à part vous implorer… »
Elle sait que sa fille est profondément malade et l’hôpital n’est pas très chaleureux. « Que faire de plus pour vous ? Vous avez déjà des prescriptions! » Cette phrase résonne sans arrêt dans sa tête. C’est pour elle l’hécatombe. Elle pleure, elle supplie, elle prie… Voila la triste histoire de Dalila.

Je suis rentrée si triste à la maison en pensant à la détresse d’une maman. Que puis-je faire pour elle ? J’étais aussi impuissante. Et puis soudain, je pense à une dame aussi généreuse qui a su toujours réaliser des rêves pour enfants défavorisés et surtout malades. Je l’appelle sans trop y croire pour lui narrer l’histoire. Elle m’écoute. Je sens un silence et puis elle me lance « dites à la dame de m’appeler demain matin. Il ne faut plus attendre. » . Folle de joie j’appelle immédiatement Dalila pour lui dire la bonne nouvelle.

Ce matin, mon téléphone sonne. sur l’écran de l’appareil je vois écrit le nom de Dalila ! je réponds vite. Mais c’est Ibtihal qui était au bout du fil. « J’ai déjà fait mon scanner grâce à la dame que nous avons appelée. Elle nous a payé un taxi pour qu’il vienne nous chercher. Elle a pris en charge complètement le prix de mon scanner. ». La joie remplie mon cœur car Dalila et Ibtihal sont actuellement à l’hôpital et ont même eu un rendez vous, ce même jour.
La dame qui a tout fait n’a pas voulu que je mentionne son nom. Mais moi je vais le faire car tout l’honneur est pour elle. Et il faudrait cloner les femmes qui lui ressemblent. Merci pour tout grande Boutheina El Melki et espérons la guérison totale à Ibtihal. Dieu a sans doute entendu les prières sincères d’une maman en détresse.
L’équipe de Femmes et Réalités remercie infiniment Boutheina El Melki.

Nadia Ayadi

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