Voici pourquoi de chasseur, je me suis converti en protecteur…

Abelmajid Dabbar est un homme à l’humanité exceptionnelle, passionné et sensible à tout et surtout à notre mère nature. Ce n’est pas pour rien qu’il est le Président et fondateur de Tunisie Ecologie et sait de quoi il parle. Fils prodigue de la terre et du Sud, il nous confie son émouvante histoire et comment il a décidé de se convertir de chasseur professionnel en protecteur professionnel des animaux et de la terre.
« Savez-vous pourquoi dès mes 26 ans, d’ancien chasseur, je me suis converti en protecteur de la faune sauvage, que je préfère dire en liberté ?

Une grande leçon prise des grues cendrées (grus-grus الغرنوق.). Un des maîtres des cieux, beau, grand, fort, robuste, très familial et le plus social des oiseaux.
Ils sont entre 7000 et 9000 chaque année qui viennent passer l’hiver en Tunisie du Kairouanai, au Nord Ouest, jusqu’au Sud en bonne saison pluvieuse.
Ils arrivent entre le 6 et le 9 novembre chaque année, et nous quittent pour gagner les pays du Nord, jusqu’en Scandinavie pour se reproduire entre le 19 et 23 mars.
En parade nuptiale, ils ont une danse magnifique pour plaire à leurs femmes (si je peux dire).
Empruntant les plus courts couloirs migratoires pour traverser jusqu’à l’autre rive de la Méditerranée.
Ils arrivent de l’intérieur de la Tunisie jusqu’à Haouaria pour survoler le détroit de la Sicile, un peu plus de 90 km pour virer après vers le Nord-Est.
La compagnie allemande Lufthansa l’a choisi comme emblème.
Ils vivent en couples et familles, mais pendant l’hivernage, ils se regroupent en communautés, et se regroupent nombreux dans les dortoirs.
Ils ont toujours les veilleurs de nuit qui font la relève et assurent le gardiennage quand tout le groupe dort.
Pour dormir le soir, ils préfèrent rester debout les pieds dans l’eau (dans des sebkhas ou lagunes moins profondes) pour échapper aux divers prédateurs.
Un jour, avec mon ami Zinelabidine Benaïssa nous encadrons des jeunes et leur expliquer le phénomène de la migration, soudain, un grand groupe de grues cendrées nous survole au Jebel Haouaria et se perd progressivement dans la mer vers l’Italie.
Nous avons remarqué par nos optiques de vue que l’une d’elles a une patte qui pend vers le bas, certainement brisée par des balles d’un chasseur braconnier.
Un moment après, tout le groupe de grues cendrées revient vers la Tunisie, vers Haouaria. Nous l’avions suivi par nos téléscopes jusqu’à avoir arrivé sur la forêt de Dar Chichou.
Tout le groupe était revenu vers la mer, toujours dans un vol en forme de «V», mais cette fois il avait laissé l’oiseau blessé sur la terre ferme au Cap Bon.
J’ai eu une chair de poule et j’étais ému jusqu’aux larmes…
je n’oublie jamais cet instant : quand le grand groupe a franchi la limite de la terre ferme et la mer, se dirigeant vers la Sicile.
Tous ensemble, ils ont émis un cri fort d’adieu, ou encore pour dire à leur ami « nous pensons à toi, bon courage, tu vas nous manquer, au diable, les braconniers… porte- toi bien….. » Je ne vous cache pas que je n’étais pas le seul à avoir les larmes aux yeux. Le seul engagement que je leur avais promis, c’est que leur message a été reçu au plus profond de on cœur et de mon âme.
Depuis, je ne les ai jamais trahis.
Malgré la conservation de mon fusil de chasse, je paye toutes mes taxes et assurances, je n’ai jamais tiré depuis sur une créature, même pas une mouche.
J’étais d’autant plus membre permanent du conseil supérieur de la chasse durant plus de 18 ans. Actuellement, je siège au même Conseil en tant que personne ressource.
Quand toute la faune n’a pas son syndicat ni une ligue de droits des animaux, comme celle des droits de l’homme, je n’ai aucun regret. Je suis fier d’avoir choisi ce chemin, épineux souvent.
Parole d’un amoureux de la faune et aussi bien des grues.

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