Parlons d’ « elle, » pour planer sans elle…

Un recueil de poèmes de 144 pages de Hamma Hanachi, journaliste culturel qui a pour titre « elle, » (éd Contraste)  vient de paraître ! L’auteur, lecteur impénitent de poésie, repart à la découverte de sa mère, aimante, dévouée de tout son être au bien-être de ses enfants. Ce livre bouleverse, parce que l’on découvre, en même temps que l’auteur, à quel point sa mère est une femme rare, qu’il l’aimait tant et qu’il n’a sans doute jamais pu faire son deuil. Traversé de secrets enfouis enveloppés d’amour, ces récits poétiques sensibles de mémoire maternelle,  témoignent avec pudeur les fêlures de l’existence.

Aujourd’hui dans ce silence suprême, l’auteur oppose le désir de conjurer par l’écrit l’espoir que, désormais, ne durent, que les moments doux. L’auteur était venu tôt sur la tombe de sa mère pour son anniversaire accompagné de son recueil… Il s’était rasé de près, frésias roses et roses blanches en main, pour lui annoncer  son plus beau cadeau qui avait « mariné après avoir hiberné …  « Venu pour te dire que ton visage ne m’a pas quitté, il s’est mis sous cloche à l’abri du froid; la douleur n’a pas cessé, elle s’est simplement adoucie, son ardeur ne s’est pas apaisée, elle a seulement pris de l’âge, un peu moins violente sans doute, elle est cendre tiède terrée sous la braise, rassurante et affectueuse….La brûlure de la cendre obscure ronge doucement, sans répit…s’attarde sur l’enfance vive….Venu te promettre de garder depuis l’aube claire jusqu’au soleil mourant l’âme éveillée, l’esprit attentif à tes parfums d’antan et de demain. Toi, la réponse à mes angoisses… ».

Nous avons rencontré l’auteur pour en savoir plus sur ce recueil  d’exception.

Commençons par le titre, elle, c’est tout de même intrigant…

En effet, le titre annonce le jeu, il est à lui seul un programme qui invite à la lecture et en même temps pose problème.  J’ai mis du temps pour me l’imposer.

Un titre caprice, provocation ?

Il n’est ni caprice, ni extravagance, encore moins une provocation, ces outils ne  sont pas le genre de la maison,  des alois qui ne me sont pas familiers, vous ne trouverez même pas leurs échos dans ma nature. C’est un titre longuement mûri, une seule syllabe ! Avouez que c’est modeste, mais en même temps efficace, ce titre reflète ma vision de la poésie et la vie de celle à qui elle est adressée.

Chaque début de phrase s’écrit en majuscule, ce n’est pas le cas dans votre ouvrage…

En effet, chaque début de phrase s’écrit en majuscule qui se distingue par sa taille et son importance, on l’appelle aussi lettre capitale,  elle est issue du latin majus, plus grand. La lettre « e » en minuscule dans le titre  indique une rupture. Parce que la personne que je décris, n’est femme aimée, mère et importante, « majus » qu’à mes yeux, je le voulais ainsi, elle, c’est simple et complexe à la fois. Je ne voulais ni nom propre ou commun, ni adjectif, ni attribut,  ni exclamation qui l’accompagnent : un titre qui interroge sans point d’interrogation. Juste elle, un pronom personnel, le délocuteur, en l’occurrence la délocutrice, Le lecteur découvrira sa majesté en lisant le chapitre qui lui est dédié dans le recueil, qui en contient quatre autres ; c’est en même temps à la poésie en général qui est majesté que je veux rendre grâce et justice. Et comme cette entorse à la grammaire ne suffisait pas, j’enfonce le bouchon et commets une autre infraction : je termine le titre par une virgule.

Une entorse à la règle ?

Oui et un  péché pour les conformistes, un abus pour les puristes. La virgule, tout le monde l’a appris à l’école  permet de marquer une courte respiration, une pause pour reprendre la phrase ou son rythme, elle sépare une proposition d’une autre, elle est séparatrice, or ici, il n’y a pas de suite ni reprise de la lecture et de la respiration, la phrase s’arrête net. Voilà comment  une virgule qui est la ponctuation la plus usuelle, la plus ordinaire fait la loi ; d’un coup de poing inattendu, elle assomme le lecteur,  qui, interloqué s’arrête par manque de compréhension qui est son oxygène. Il est en apnée continue, le cycle de la lecture est rompu. Imaginez, une modeste virgule qui met fin au jeu, échec et mat, comme quoi, dans la poésie,  la modestie paie cash, toute la poésie de Jaccottet est un hymne à la modestie. Elle convie le lecteur à revenir sur ses pas, à relire, réfléchir et se poser des questions, s’il le fait dans un ou deux de mes poèmes, j’en serais comblé.

Il s’agit d’une rupture grammaticale également ?

C’est aussi dans ce sens que j’ai choisi ce titre. Pas de consensus, en poésie, pas  de tranquillité d’esprit ou de consentement, remuer la règle, le langage, l’ordre des choses, tel est notamment son rôle.

Peut-on savoir le pourquoi ?

Un titre sur une couverture attire, fascine ou rebute, dans ce titre elle, singulier, qui annonce le genre de poésie, il y a un risque, celui d’exclure une partie des lecteurs (qui sont déjà réduits) disons ceux qui n’acceptent pas les secousses des ruptures et n’adhèrent pas aux innovations, tant pis. Ce titre interroge, bouscule, risque de choquer les bonnes consciences, mais ce qui est sûr c’est qu’il n’est pas consommé ni anodin, encore moins consensuel. Bref et complexe, il s’adresse à l’intelligence du lecteur, c’est du moins comme cela que je le veux. Minuscule et virgule sans suite, voilà comment des signes apparemment insignifiants deviennent autorité. Seul l’art est capable de tels prodiges.

La poésie l’a osé aussi ?

Si la poésie n’a pas le courage d’oser la transgression, la volonté de semer le trouble, la force de changer le monde en commençant par les mots et le style, qui en aurait alors ?

Vous donnez l’impression de mettre du temps, d’analyser et de creuser pour chercher un titre. Déployez-vous la même énergie pour la construction d’un poème ?

Merci pour le terme énergie ! Oui, cela va sans dire qu’un poème bien échafaudé exige beaucoup de temps et de l’énergie. Pour composer un poème qui est d’abord langage, il faut un bagage de mots, qui collent à d’autres mots pour agencer une phrase, celle-ci côtoie sa voisine à sa gauche ou à sa droite pour terminer un vers,  agencer un tercet ou un quatrain ou encore créer un  poème libre. Je résume en disant que chaque mot est choisi, assumé et placé là où il faut, comme si la vie du poète en dépendait, c’est cette poésie  que je fréquente, dont je rêve, que je lis tous les jours, qui m’émerveille et m’aide à vivre, me libère et me montre une autre partie de la vie.

Sinon, de poésies, il y en a partout, à profusion de tous genres, de la belle, attirante, coquette, de la rebelle, illisible, courte ou longue etc, c’est de lecteurs qu’elle a besoin, particulièrement dans notre pays qui en manque. Depuis longtemps, depuis tout temps probablement, la poésie déborde de générosité, elle a le cœur sur la main et accueille tout le monde chez elle, ouvrant sa porte même aux amateurs sans qualités ni compétences. Quiconque, partout dans le monde, toute personne peut se déclarer poète, d’autant qu’aujourd’hui, les  techniques poétiques sont, enseignées dans les écoles et les cercles de formation.

Vu sous cet angle, la chose paraît facile, commune. Cela suffit-il pour faire un poème ? Jean Cocteau résume  «  La poésie n’est pas forcément du vers, des rimes… Un poème est une tentative de nous ouvrir les yeux pour voir ce qu’on ne regarde plus. ». Apparemment accessible à tous, le problème me semble-t-il, est ailleurs…

Il est où d’après vous ?

Dans la contrainte de l’élaboration. Il est banal,  commun de dire que tout poète écrit sous la contrainte, celle-ci comprend le processus de « fabrication », je n’ose pas dire création, trop consommé, métaphysique et nébuleux. Soit, le poème dépend du soin qu’on met à choisir un mot et à la valeur qu’on lui donne, je dirais le poids qu’on lui réserve dans une phrase. Dans ce sens, le poète est en quelque sorte expert en poids et mesures, il possède les outils techniques et les secrets esthétiques, reste l’esprit que dégage un poème.

Une atmosphère  qui ressemblerait à un continent à explorer, un continent sans frontières, formé de mots et de musique laquelle, on ne sait  par quelles molécules  ouvre sur les sentiments, les émotions,  sur l’enthousiasme, l’imagination et  la jubilation «  De la musique avant toute chose… » disait Verlaine. Revenons à votre question, tout art, c’est bien connu, est un décodage, les grands poètes qui m’habitent, les Paul Celan, René Char, Yves Bonnefoy, Saint-John Perse…  posent des énigmes dans chacun de leurs poèmes, C’est une aventure« Que ton vers soit la bonne aventure… » disait le même Verlaine  dans son poème.   J’imagine la joie du lecteur de décoder un vers, une citation…je serais comblé si quelques-uns s’attarderaient à saisir le sens d’une phrase, d’un poème,  décèleraient  l’attention et l’effort qui se trouvent derrière et apprécieraient  la valeur que je donne aux mots.

Un mot n’est jamais définitif  chez vous lorsqu’il est trouvé ?

En effet, il m’arrive plusieurs fois de revoir un mot qui ne colle pas, qui contient par exemple trop ou trop peu de syllabes. Ce mot perturbe le vers, lequel déstabilise l’ensemble du poème ou une partie du poème ; il m’oblige à relire la phrase entière, j’efface, je remplace, je laisse reposer, j’y reviens fréquemment, je lis et j’oublie jusqu’à saturation, c’est dans cet état d’esprit qu’on peut qualifier l’acte poétique de processus d’expérimentation, c’est dans la complexité du poème qu’on détecte  le « jus de coude», le travail d’atelier,  comme les travaux d’un peintre d’atelier. Imaginez une personne lisant chez lui, discutant dans un café ou marchant dans la rue avec une phrase en tête, un mot manquant,  il cherche, il cherche quoi ? Un rythme à sa phrase. C’est aussi à cela qu’on reconnaît  un poète : quelqu’un qui a en permanence une image à nourrir, une  phrase en tête ou seulement un mot à enfourner.

Merci infiniment pour tous ces éclaircissements.

Si les mots vous manquent pour vous adresser à elle durant le dernier dimanche de mai, fête des mères, si c’est elle qui vous manque, ces écrits, pourtant intimes, vous parleront. Peut-être même qu’ils vous aideront. « elle, » des éditions Contraste, est un recueil, un témoignage, un poème et un roman à la fois.  Le livre  est en vente dans toutes les bonnes librairies au prix de 15 dinars.

N.A

 

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