Une vie un destin !

Il était une fois une petite famille heureuse. Deux petites filles égayaient le foyer  sous le regard tendre de leurs parents. Le quotidien s’écoulait comme un long fleuve tranquille. Mais cette image sereine se déchire soudain, quand la mère décéda lors d’un accident ménager. Elle pétillait de vie, elle était toujours conciliante, brave et chaleureuse. Elle laissa derrière elle Sondès, une jeune fille au destin triste qui a consacré toute sa jeunesse à sa grand-mère et à son père jusqu’au dernier moment de leur vie.

 

Ce fut un début de journée ordinaire. La mère faisait prendre le bain à ses deux filles âgées de huit et de dix-huit mois. C’était toujours le même bonheur pour elle. Elle prenait plaisir à les laver et à jouer avec elles en provoquant chaque fois cette hilarité bienveillante mêlée au clapotis de l’eau et à la jubilation des enfants. La douche terminée, elle les prenait délicatement jusqu’à leur chambre pour les habiller et les parfumer. Un beau matin, après ce même rituel, elle les quitta tout juste un instant après les avoir installés dans leur chambre pour aller prendre à son tour sa douche. Le destin voulut frapper ce jour-là. La mère n’eut à aucun moment senti l’odeur du gaz qui s’échappait de l’appareil. Elle voulut faire vite pour rejoindre ses fillettes, mais elle avait l’impression qu’une chape de plomb la retenait par les épaules. La fuite du gaz, traîtresse et pernicieuse, continuait à s’échapper, empoisonnant l’air de la salle de bain. Le corps de la maman était comme paralysé. Le gaz avait déjà atteint le cerveau. La maman se laissa tomber. Elle sentait encore le jet d’eau arroser son corps comme une pluie noire annonciatrice d’une fin de vie. Ce n’est que plus tard, en rentrant, que l’époux retrouva sa femme sous la douche inerte, étendue sous sa superbe chevelure couleur de jais.  Lorsqu’il sentit l’odeur forte du gaz, il comprit les raisons de la catastrophe. Il ramena vite sa femme jusqu’au couloir et dut se rendre à l’évidence qu’elle avait quitté la vie depuis longtemps. Sa douleur était indescriptible et demeura inconsolable pendant très longtemps. Comment retrouver son équilibre lorsque tout fut déréglé ? Comment regarder l’avenir  et celui de ses fillettes devant des perspectives sombres ? Les deux fillettes furent confiées à la grand-mère maternelle, qui prit sur elle la lourde tâche d’élever ses petits-enfants et de les mettre à l’abri de tout danger. Après quelques temps, elle insista auprès du père de trouver une femme qui puisse panser ses blessures et refaire sa vie. Il ne pouvait supporter l’idée de se marier avec une autre femme. Les années passèrent, mais le temps possède cette formidable faculté d’anesthésier les mémoires et d’injecter aux hommes désespérés tant de force et de résistance pour rendre tolérable une existence vouée à l’incertitude. Il accepta que la grand-mère se charge de trouver la femme qui pourrait remplir sa vie. L’opération était délicate pour la grand-mère qui voulait une mère de substitution à ses filles…. Elle eut une idée : il fallait qu’elle trouve une femme jeune, très très jeune même. Elle a fait le tour de la famille, des amis et de leurs amis pour trouver enfin celle qui conviendrait non seulement à son beau-fils mais surtout aux fillettes. Elle trouva la perle rare : la future épouse  n’avait que treize ans, et à l’époque, il était courant que cet âge était « mariable » quand les familles étaient d’accord. Ce choix n’était pas fortuit pour la grand-mère car la raison est bien simple : cette épouse serait, en même temps, la mère et la sœur des filles qui pourraient  jouer avec elle en toute confiance. C’est ainsi que le père se maria avec une femme qui avait l’âge de ses enfants… Dans la tête de la grand-mère, elle ne pourrait que grandir avec elles et ne pourra jamais leur faire de mal. Ainsi, l’amour fleurira avec les années. Sondes, la cadette était le plus souvent chez sa grand-mère qu’elle ne voulut plus quitter. Elle se rendait aussi très souvent chez son père qui était apparemment heureux de sa nouvelle vie. Il eut d’ailleurs d’autres enfants : deux filles et deux garçons. Sondes adorait ses demis frères et sœurs mais continuait à vivre chez sa grand-mère qu’elle aimait par-dessus tout! Mais la vieille dame tomba malade et mourut le jour où Sondes réussit au Baccalauréat… la douleur était intense, car cette grand-mère représentait pour elle deux mères à la fois. Elle eut une éducation exemplaire chez elle et elle ne manqua de rien, même son trousseau pour un éventuel mariage était prêt. Tout était devenu vide. Elle se rappela d’elle et son doux visage jaillit de ses souvenirs impérissables. Elle avait tout appris chez elle, les premiers mots qui avaient donné un sens à la vie. Elle ressentait encore son petit souffle, lorsque chaque matin, sa grand-mère chantait dans ses oreilles avant qu’elle n’ouvre ses yeux et s’émerveillait de tout et de rien. La mort dans l’âme, Sondès alla vivre à 20 ans chez son père et sa belle-mère. Quatre ans après, elle réussit brillamment ses études et eut comme sa sœur un diplôme en sciences juridiques. Elle fut recrutée sans difficulté en tant que conseillère juridique dans une importante institution financière, alors que sa sœur déjà mariée exerçait les fonctions de juge.

Un jour l’amour frappa à la porte de Sondès lorsqu’elle connut un jeune homme qu’elle avait aimé de toutes ses forces. La vie ne lui avait pas fait beaucoup de cadeaux, mais ce jeune, fut le plus beau cadeau. Elle était heureuse et resplendissante comme un soleil de printemps. Elle bâtissait avec lui tout son avenir. Une relation ô combien chaude et prometteuse. Durant dix ans, elle vivait avec l’espoir qu’elle puisse un jour être sienne et enfin vivre le rêve qu’elle avait toujours caressé : épouser l’homme de sa vie. Tout était prêt ! Par une belle journée d’été, elle était avec des amies dans un établissement hôtelier pour quelques jour de repos et discutaient sur son séjour de lune de miel après le mariage, lorsqu’une de ses amies qui venait de débarquer elle aussi pour des vacances en famille, est venue la saluer et la serrer dans ses bras en lui souhaitant « Mabrouk ». Sondes n’avait rien compris, car il était trop tôt pour ce genre de souhait, en plus la date du mariage n’avait pas encore été fixée. C’est alors que l’amie expliqua à Sondès que son amoureux allait se marier dans une semaine et que pour elle, la mariée était Sondes. La famille du marié, distribuait déjà les invitations. « Une mauvaise blague », répondît Sondès dont le cœur commençait à battre la chamade.  Elle se sentit tout d’un coup mal, très mal. Elle s’était légèrement éloignée de l’amie qui se sentait très embarrassée. Une expression de forte angoisse et d’inquiétude crispa les traits de Sondès comme construits pour le malheur. On eût dit que toute sa vie ne tenait qu’à cette phrase lancinante mais déchirante. En effet, quelques jours plus tard, elle apprît que son fiancé qui filait le bel amour avec elle, préparait entre temps son mariage avec une  autre. Pendant une fraction infime du temps, elle crut la chose impossible, mais dut se rendre à l’évidence. Le soir des noces, elle s’était faufilée à travers le jardin de l’hôtel pour assister loin des regards au mariage de celui qui lui avait promis monts et merveilles. Elle éclata en sanglot. Elle porta ses jolies mains à sa gorge pour arrêter quelque chose de trop fort qui montait, chancela, marcha en trébuchant vers la sortie. Elle en souffrira toute sa vie et méprisa tous les hommes de la terre.

Un jour, le père fut atteint de paralysie suite à un infarctus et c’était une autre descente aux enfers….Pendant sept ans, Sondes consacrait ses disponibilités et toutes ses nuits pour s’occuper d’un père dont elle voyait également en lui la mère qu’elle n’avait pas connue. Sa sœur étant mariée et mère de deux enfants, trouvait beaucoup de difficultés à aider son père malade. Sondes s’occupait de tout. Quand elle était au travail, elle s’y investissait en tout âme et conscience car son père l’avait éduqué ainsi, qu’il fallait mériter son salaire, même si on avait d’autres soucis. Cela ne l’empêchait pas de penser à lui tout en travaillant. Si elle n’était pas physiquement présente, elle était toujours en contact téléphonique. Il  ne lui restait dans ce bas monde, que ce père qui lui donnait cette conviction qu’elle appartenait à quelqu’un. Elle entrait dans la maison avec toujours la même précipitation et le même égard. Dans les yeux de son père, elle captait ce regard reconnaissant avec une sérénité de tous les moments. Elle se blottissait souvent contre lui comme pour lui transmette toute l’énergie de son être. Elle se sentait transportée dans un autre monde, un monde qui n’appartenait qu’à son père et elle-même. Même quand il arrivait à Sondes de voyager dans le cadre de son travail, elle avait toujours peur de perdre son père pendant son absence. Ella sentit à un certain moment que les fait que sa belle-mère eut d’autres enfants, son amour changea un peu de destinataire…A part sa grand-mère, jamais elle n’avait songé à un être humain avec un aussi ardent désir de voir guérir son père. Elle s’occupait soigneusement de son dossier médical (médicaments, rendez-vous avec les médecins), mais aussi tout ce dont il avait envie, même des moindres gourmandises … Sa belle-mère était certes présente,  mais elle aussi comptait toujours sur Sondès qui se chargeait en même temps des affaires courantes, ses demi-frères et sœurs étant encore trop jeunes pour ce genre d’occupation, confia un jour la belle-mère. Comme si la vie savait à qui distribuer les rôles.

Le jour où le père de Sondes quitta la vie…. celle-ci était aussi morte quelque part avec lui. Elle réalisa, à cet instant qu’elle avait aussi perdu sa mère ce jour-là.

Sa douleur était intense, elle était aussi blessée qu’exténuée… Sondès, sortit difficilement d’un deuil trop dur. Elle prit conscience que sa vie lui appartenait aujourd’hui et qu’il lui fallait du courage pour faire face à un destin qui n’était pas du tout clément. Elle pensa au poète qui avait dit un jour « Ainsi soufflent les vents sans que ne le veuillent les navires… »

 

Slaheddine B.M.

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