El Teatro envahi de folie avec « Le Fou »    

 

Le Fou, écrit en anglais et publié en 1918, est une magnifique introduction à la pensée de l’un des plus dignes représentants de la littérature orientale et grande figure de la littérature arabe qui a permis à Khalil Gibran de porter un regard pur sur les vicissitudes du monde. Ces mêmes vicissitudes tombent à pic dans la pensée de notre Taoufik Jebali national pour réinventer une « folie » ambiante dans une formidable mise en scène.

Comme toutes les belles choses ont une fin, le premier cycle de représentations de cette pièce de théâtre « Le Fou » s’achève. Une dernière soirée exquise du 17 février 2017 qui vu la présence de l’ambassadeur de France à Tunis et du Ministre de la culture.  La nouvelle lecture et écriture de cette pièce qui a déjà été jouée également à Beyrouth, à Damas et à Ramallah, est une belle reprise sous-titrée en anglais et en français. Dans la salle trentenaire de l’espace El Teatro, un public fasciné découvrait ou redécouvrait la pièce mythique d’un auteur universel où tout semblait intemporel. Un chant spirituel et lyrique nous a permis de respirer, une bouffée d’oxygène qui nous a fait émerger le temps d’un moment d’un quotidien médiocre et  oppressant. Nous avons vraiment eu «  besoin de cette  voix nous poussant vers notre Humanité, s’élevant au-dessus de l’autoritarisme, de l’exclusion…
Une voix prophétique,  La voix d’un Fou…Sur des textes finement ciselés qui amusent autant qu’ils donnent à penser, un passionnant périple intérieur nous a envahit. D’une sensibilité rare, d’une force poétique et d’une cruauté débridée, cette pièce a été admirablement interprétée. Nous avons « frissonnés « tout en nous identifiant avec des acteurs aussi talentueux les uns que les autres. Nous avons été émus et touchés par une découverte d’un hymne à la folie universelle…par sept « moi » comme la création du monde.

« A l’heure la plus tranquille de la nuit, alors que le sommeil s’emparait de moi, mes 7 Moi  se mirent à converser entre eux en chuchotant :

Le 1er Moi : Ici, dans ce fou, voilà que je demeure depuis bien des années, n’ayant rien à faire que de renouveler sa souffrance,  le jour… et son chagrin, la nuit. Je ne peux plus supporter mon sort davantage et maintenant, je me révolte !

Le 2ème Moi : Son sort est meilleur que le mien,  car il me fut imparti d’être le Moi joyeux de ce fou. Je ris son rire et chante ses moments heureux et avec des pieds aux triples ailes, je danse des idées lumineuses. Moi, je dois me révolter contre cette existence fastidieuse !

Le 3ème Moi : Que dire de moi, le Moi dominé par l’amour, le tison enflammé de passion déchirante et de désirs fantastiques ! C’est moi,  le Moi malade d’amour qui devrait me révolter contre ce fou !

Le 4ème Moi : C’est moi qui suit le plus misérable parmi vous car il ne m’a été donné que d’être une haine odieuse et une répulsion destructrice. C’est moi, le Moi pareil à la tempête, né dans les caves sombres de l’enfer, c’est moi qui devrait me révolter d’être l’esclave de ce fou !

Le 5ème Moi : Non, c’est moi, le Moi pensant, le Moi fantastique, le Moi de la soif, le Moi de la faim, condamné à vagabonder

Le 6ème Moi : le Moi travailleur, digne de pitié, qui, avec des mains patientes et des yeux ardents, transforme les jours en rêve et confère aux éléments amorphes, une forme nouvelle et éternelle.

Le 7ème Moi : Qu’il est étrange de votre part de vouloir vous révolter tous contre cet homme, sous prétexte que chacun d’entre vous a un sort prédestiné à accomplir. Ah,  si seulement j’étais l’un de vous, un  Moi au sort déterminé ! Mais je n’en ai point ! Je suis le Moi fainéant, relégué dans l’oubli, à jamais vain et inutile, alors que vous , vous êtes occupés à recréer la vie. Qui devrait donc se révolter, voisins ? Est-ce vous ou bien moi ?

Et  quand le 7ème Moi parla ainsi, les 6 autres Moi le regardèrent avec pitié mais ne répondirent plus et comme la nuit s’avançait, ils s’endormirent l’un après l’autre  envahis par une nouvelle et heureuse résignation. Seul le 7ème Moi demeura en place à contempler et à fixer le néant, caché derrière toute chose… »

N.A Murmure-dusilencegibr5Latrinite

 

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