Hager Ben Cheikh Ahmed rend hommage à Safia Farhat, Faiza Skandrani et Noura Boursali au Sénat à Paris

Hajer Ben Cheikh Ahmed a été invitée en décembre dernier, à intervenir dans le cadre de l’Université d’Automne des femmes, sous le thème  » la réussite au féminin : françaises et tunisiennes au cœur du changement » et ce, au siège du sénat à Paris. Notre députée confie sur ce séjour express dans l’hexagone : « Ce fut mon plus court séjour à Paris 8h seulement! Mais l’un des plus riches en rencontres et en émotions. Je remercie Donia Kaouach présidente de « Tunisiennes Fières » ainsi que Catherine Dumas présidente de « Femmes, Débat et Société ».
Dans son intervention, Hager Ben Cheikh Ahmed avait été passionnée et passionnante dans son texte universel si riche intitulé « Les Femmes tunisiennes à l’épreuve de la Transition Démocratique ». Le voici en intégralité

« Mr Le premier Ministre, Mme La porte-parole de présidence de la République tunisienne,
Excellence, Mr l’ambassadeur de France en Tunisie,
Mr Le Sénateur,
Mesdames les présidentes ,
honorables invités et chers amis des deux rives de la Méditerranée. Merci de m’avoir permis de concrétiser un rêve d’être un jour ici parmi vous pour représenter mon pays. J’en suis heureuse et ravie et ceci m’honore et m’engage.
Que dire encore après mes amies Saida, Maya, Donia et les autres?

Notre histoire- vous l’aurez compris à travers les différentes interventions d’aujourd’hui, est une histoire jalonnée de parcours de femmes, de portraits et de combats de femmes. Ce n’est donc pas un hasard si la société tunisienne est aujourd’hui féministe, ce n’est pas un hasard non plus si la Tunisie constitue une exception dans l’aire maghrébine et dans le monde arabe et islamique.
La Tunisie est une société féministe. Mais la question féminine n’est pas propre à ces sociétés musulmanes. Je ne nous apprends rien en effet en nous disant qu’elle se pose avec beaucoup d’acuité dans toutes les sociétés, car c’est peut-être la seule qui soit transversale à toutes les disciplines et qui recoupe tous les secteurs des politiques publiques, et de ce fait la question de la condition féminine est une question universelle.
En effet, il n’y a pas de féminisme national, le féminisme est universel. Ce sont les combats, les parcours et les acquis qui diffèrent.
Je viens donc vous parler aujourd’hui des tunisiennes et du combat des tunisiennes pour l’égalité à l’épreuve de la transition démocratique. En commençant par rendre hommage aux tunisiennes, pas seulement celles que vous connaissez et croisez ici dans les rues de Paris, ou dans divers évènements mondains, ni celles qui se sont distinguées en politique ou dans la société civile, ou dans le monde des affaires, ou de la science, ou du sport, même si elles méritent tous les éloges.
Je veux rendre un hommage particulier aux tunisiennes que vous ne connaissez pas.
A celles qui mènent chaque jour avec courage et détermination un combat pour la dignité, un combat pour une vie décente, pour la vie tout simplement.
Je voudrais parler de celles qui ont donné leurs vie pour l’indépendance du pays, de celles qui ont donné leurs bijoux pour reconstruire le pays, de celles qui ont bravé les traditions pour aller à l’école ou pour s’affirmer comme femmes, comme personnes, comme citoyennes. Je voudrais vous parler de celles qui se lèvent à l’aube pour aller cultiver les champs avec leurs doigts meurtris. Je voudrais vous parler de celles qui laisseront leurs vies dans un accident de transport, parce qu’elles étaient entassées comme des sardines.
Je voudrais vous parler de celles qui prendront la mer sur une embarcation de fortune parce que la vie leur a tourné le dos. De celles qui subissent en silence viols, coups et blessures parce que la bas au fond de la pièce, il y a des enfants à qui il faut un toit.
Je voudrais vous parler de ces mères qui ont vu leurs enfants tomber en martyrs.
Je voudrais vous parler de ces petites filles qui font deux heures de route à l’aube peur aller à l’école, de celles qui se feront violer sur le chemin du retour et ne diront rien par peur du scandale.
Je voudrais vous parler de celles qui ont été bannies de leur bled par les leurs, pour avoir choisi librement d’épouser un-musulman, de celles qui ont été bannies, peur avoir conçu un enfant hors des liens du mariage, de celles qui ont bravé le terrorisme pour aller faire la fête.
Et j’en oublie encore certainement!
Toutes ces femmes anonymes, inconnues, mais si tunisiennes.
Quand la révolution a éclaté, les femmes sont sorties en masse manifester centre la dictature, certaines tomberont en martyres, d’autres seront blessées à jamais.
Les libertés fraichement conquises, permettront l’apparition d’un féminisme nouveau qui succédera au féminisme d’Etat. Ce mouvement s’élèvera comme rempart, contre l’obscurantisme rompant qui venait d’apparaitre dans nos contrées.
Nos acquis, fruit d’une lutte acharnée, s’étaient trouvés menacés par la montée de courants prônant la polygamie et le voile intégral, étrangers à notre culture islamique éclairée et donc par un retour vers des siècles ténébreux.
Ce danger qui menaçait le fruit de longues années de luttes et de combats à poussé des femmes et des hommes à s’ériger centre ce complot qui menaçait notre société.
La société civile verra ainsi la prolifération de nouvelles associations et de mouvements organisés.
Le combat était pluridimensionnel :
– Il fallait s’ériger contre les courants obscurantistes.
– Il fallait protester contre des figures notaires et des fatwas prêchant l’excision et la violence physique à l’égard des femmes, et qui avaient souillé notre territoire et notre culture.
-il fallait aussi une révolution juridique.
Une forte mobilisation a eu lieu pour l’inscription de la parité verticale, dans la loi électorale de 2011, puis dans celle de 2014, qui nous donnerons un taux de représentation à l’Assemblée des représentants du peuple dépassant la moyenne mondiale, soit près de 36% et qui marqueront un tournant décisif dans l’histoire politique tunisienne.
L’inscription de la parité verticale et horizontale, dans la loi relative aux futures élections municipales, nous donnerons sans doute un meilleur taux dans les conseils municipaux.
Par ailleurs, la constitution du 26 janvier 2014 consacrera comme celle de 1959, l’égalité entre citoyens et citoyennes, mais ajoutera la parité ainsi que l’égalité des chances entre hommes et femmes, à accéder à toutes les fonctions, et dans tous les domaines.
Une victoire!
D’autant que pour mettre en œuvre cet article 46 paragraphe 2, un conseil des pairs, sorte de conseil supérieur pour la parité et l’égalité des chances avait été crée à cet effet.
Mais il reste encore à Faire.
Car il s’agit d’une égalité devant la loi, et non d’une égalité dans la loi!
Il reste aussi des domaines à conquérir !
En politique par exemple, où les femmes sont très présentes au niveau des structures de base, et peinent encore à accéder aux structures exécutives. Idem dans les syndicats ( la centrale syndicale ne compte qu’une seule femme dans le comité exécutif).
Dans les médias: un taux de présence faible, dans les émissions politiques et les émissions intelligentes. La nouvelle loi de réforme des médias devrait y remédier.
Car et même si le militantisme politique, syndical ou associatif est aujourd’hui attractif, les femmes demeurent encore victimes de misogynie, d’exclusion et de violences verbales dégradantes.
C’est pourquoi le vote de la loi contre la violence à l’égard des femmes le 24 juillet 2017 sera marqué d’une pierre dans l’histoire du féminisme tunisien. En effet, pour la première fois une loi incrimine l’inceste, le viol conjugal, le harcèlement moral, ainsi que la violence physique, la violence politique, et la violence économique à l’égard des femmes.
Un moment émouvant, et un acquis supplémentaire qui vient renforcer notre statut et faire encore une fois du statut de la tunisienne, un statut exceptionnel.
Toutefois, il ne suffit pas de faire voter des lois pour crier victoire, encore faut-il les mettre en œuvre!
Car il reste encore à révolutionner, à éduquer, à réformer, à réviser les lois désuètes, ou anticonstitutionnelles. Il reste encore à changer l’essentiel: les mentalités !
Il reste encore le combat de l’éducation et de la culture. Il faut dire aussi que le combat de la société civile, et de certaines figures politiques, pour des questions latentes, parce que rattachées à une certaine interprétation de la religion, telle que l’égalité dans l’héritage, ou la liberté de choisir son époux, quelle que soit sa religion, susciteront des débats houleux et diviseront encore.
Lors des débats parlementaires sur la loi contre la violence à l’égard des femmes, nous avions soulevé ces questions, car nous sommes convaincus que l’heure est au débat, à la réflexion et à la réforme, et que ce ne sera jamais le moment si nous nous dérobons devant notre responsabilité historique. L’assemblée législative doit jouer son rôle historique pour faire les réformes nécessaires à l’aboutissement de l’égalité dans la loi.
En tout cas, l’histoire récente de notre chère patrie, nous aura enseigné que rien n’est définitivement acquis, et que la liberté et l’égalité ne s’offrent pas sur un plateau d’argent: elles s’arrachent.
Je voudrais avant de conclure, faire un requiem pour la démocratie en Tunisie, qui doit aujourd’hui triompher.
Ce n’est pas un hasard, si nous sommes aujourd’hui une exception.
La Tunisie a donné et donnera encore l’exemple, et aujourd’hui il faut impérativement soutenir notre effort, vers l’instauration d’un Etat de droit et des institutions, un Etat égalitaire et juste, un Etat démocratique. C’est là notre ambition suprême.

Il y a aujourd’hui un enjeu important de part le monde, qui consiste à combattre le terrorisme, à bannir la haine et la violence, pour que triomphent les valeurs nobles, des droits humains de tolérance, de paix et de fraternité.
Nos réformateurs du début du XX é siècle et plus tard Bourguiba, l’avaient compris bien vite: il n’est point de société démocratique, sans respect du droit des femmes et de leur dignité, et de la place qui leur est due dans la société. Je voudrais enfin, rendre hommage, à cette initiative d’université d’automne des femmes, pour cet effort louable, de construire, un pont et un dialogue entre femmes du nord et du sud de la méditerranée.

Je voudrais rendre hommage également aux femmes qui ont milité sous la dictature. A celles qui sont parties : Safia Farhat, Faiza Skandrani ( pour son combat pour la parité), et tout récemment Noura Boursali, pour ne citer que celles là ( paix à leurs âmes).
Pour celles qui sont parties, pour celles qui sont encore debout, et pour celles qui viendront après nous pour nous succéder, je dis qu’il ne faut pas encore crier victoire.
Je dis que le combat n’est pas terminé, mieux encore, je dirais même qu’il ne fait que commencer.
Alors continuons! »

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